Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
410
REVUE DES DEUX MONDES.

la seconde existence qu’ils reçoivent des historiens et des poètes, ils se présentent sous des aspects invariables, avec un caractère tranché, absolu, persévérant. Le rôle qui, dans l’origine, leur est assigné par des chroniqueurs inattentifs ou prévenus, est consacré par la tradition, et ils ne pourraient s’en écarter, sans risquer d’être méconnus.

Par exemple, Louis xiii ne s’est jamais montré sur la scène ou dans les livres que froid, lâche et mou, sans vouloir pour le bien, ami peu sûr, jouet méprisé des intrigans, automate royal monté journellement par Richelieu. On prendra de ce monarque une tout autre idée, d’après deux fragmens[1] inédits du duc de Saint-Simon, où l’on retrouve l’expression heureuse, la narration vive et facile, qui font le charme de ses Mémoires.

Le roi avait résolu, contre l’avis presque unanime de son conseil, de rétablir le duc de Nevers en possession du duché de Mantoue, sur lequel le prince de Savoie élevait des prétentions. Au commencement de 1629, une armée, engagée dans les gorges du Piémont, se trouvait arrêtée par les formidables barrières que l’Italie opposait à la France.


Saint-Simon va parler :


« On a dérobé à Louis xiii la gloire d’un genre d’intrépidité que n’ont pas tous les héros. Les Alpes étoient pleines de peste. Le Roy, en y arrivant, se trouva logé dans une maison où elle étoit. Mon père l’en avertit, et l’en fit sortir. Celle où on le mit se trouva pareillement infectée. Mon père voulut encore l’en faire sortir. Le Roy, avec une tranquillité parfaite, lui répondit qu’à ce qu’il éprouvoit, il falloit que la peste fust partout dans ces montagnes, qu’il devoit

  1. L’existence de ces deux fragmens n’était pas inconnue. Ils ont été écrits pour réfuter certains passages des curieux Mémoires de Fontenay-Mareuil, que M. de Montmerqué a publiés récemment, avec le regret de ne pouvoir offrir à ses lecteurs le travail de Saint-Simon, qu’il croyait perdu. Le père Griffet, historien de Louis xiii, lui a consacré la note suivante, t. 2, p. 66 : « Le duc avait composé des relations particulières de ces évènemens, où il contredit en plusieurs points les mémoires et historiens du temps. »