Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/440

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
436
REVUE DES DEUX MONDES.

rita ; donnez à la contadine pour rivale une femme qui n’ait que son amour à lui opposer ; n’est-il pas sûr que l’actrice, dans cette voie large et vraie, n’aura que des applaudissemens à recueillir ? n’est-il pas sûr qu’elle maîtrisera l’auditoire et lui défendra de l’oublier ?

Mais que voulez-vous ? l’auteur des trois cents pièces que vous savez, M. Ancelot, veut rivaliser de rapidité avec les inventions de James Watt. Ce que valent ses paroles, il s’en soucie peu ; ce que signifient ses pensées, il ne s’en inquiète guère ; ce qu’il veut, avant tout, c’est l’improvisation à la course, c’est la pluie d’or sous laquelle il s’abrite pour dédaigner la critique. Qu’il se rassure et s’apaise ; qu’il ne se mette pas en frais de colère. Si le rôle de Margarita eût été joué au boulevart Bonne-Nouvelle par Mme Volnys, ou rue de Chartres par Mme Albert, je n’aurais pas songé à m’en occuper un seul instant. Sans la lutte curieuse engagée entre l’actrice et l’auteur, sans le combat de l’inspiration et de l’impuissance qui m’a paru digne d’étude, et que j’ai tâché de raconter, je n’aurais pas perdu mon temps à parler de M. Ancelot. Sans être de moitié dans son secret, sans avoir reçu ses confidences, je devine très bien qu’il a renoncé à la littérature. Quand il versifiait en alexandrins sonores Fiesque et Olga, la critique pouvait encore l’atteindre et le juger ; aujourd’hui, dès que son nom se trouve mêlé à la discussion, il a le droit de décliner la compétence du tribunal qui l’interroge ; il peut nous dire avec une fierté majestueuse : Je ne vous connais pas ; je ne suis plus des vôtres. Que parlez-vous de nature et de vérité au théâtre ? La nature et la vérité sont trop longues à trouver ; j’abandonne volontiers un pareil souci à ceux qui n’ont pas, comme moi, leur fortune à faire. Je vais au plus pressé ; je tisse des paroles à ma manière. Tant que le public ne manquera pas à mes pièces, mes pièces ne lui manqueront pas. À la bonne heure ! que le public et l’auteur s’arrangent ! nous n’avons rien à voir dans ce compromis.

Ce que j’ai dit du rôle de Margarita, j’aurais pu le dire de plusieurs autres, transformés et renouvelés avec un égal bonheur par Mme Dorval. Elle a doué de vie bien des conceptions qui, sans elle, n’auraient pas été. Au nombre de ses plus belles créations, il faut placer Charlotte Corday, pour qui le poète n’avait rien fait, et qui,