Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/448

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
444
REVUE DES DEUX MONDES.

moyen d’amasser tant de traits piquans de caractère, d’enregistrer tant d’indiscrétions de langage, tant de superstitions fastueuses d’auteur et de jactances naïves, que n’aurait-il pas à moissonner d’abondant autour de chacun des nôtres ? Mais nous n’aborderons M. de Balzac que par les côtés qui touchent le plus immédiatement ses écrits que nous jugeons. Il est né à Tours, le 20 mai 1799. À le lire, à l’entendre, on le croirait davantage du midi, plus voisin d’Angoulême et des contrées de son célèbre homonyme. Mais dans un de ses jolis contes, après avoir peint délicieusement sa Touraine voluptueuse et molle, cette abbaye de Thélème, comme il l’appelle, cette Turquie de la France, il a pris soin d’observer que le Tourangeau transplanté développe souvent les qualités les plus actives, et il cite à l’appui Rabelais et Descartes, Beroalde de Verville et Paul-Louis Courier. M. de Balzac fut donc transplanté de bonne heure ; ce ne fut pourtant qu’après avoir fait ses premières études au collége de Vendôme probablement, car j’aime à croire que son récit de Louis Lambert n’est en rien une fiction, et qu’il a été lui-même cet ami inséparable du pauvre et sublime enfant extatique. En ce cas, l’enfance et la première jeunesse de M. de Balzac au collége se rapportent bien à ce qu’on pourrait conjecturer : une imagination active, spirituelle ; de l’ébullition, du désordre et de la paresse ; des lectures avides, incohérentes, à contre-temps ; l’amour du merveilleux ; les études mal suivies ; un mauvais écolier sans discipline, semper aliud agens, que ses maîtres chargent de pensums et que ses camarades appellent du sobriquet de poète.

En parlant des facultés extraordinaires de son jeune ami Lambert, M. de Balzac a dit : « J’ai long-temps ignoré la poésie et toutes les richesses cachées dans le cœur et sous le front de mon camarade. Il a fallu que j’arrivasse à trente ans, que mes observations se soient mûries et condensées, qu’un jet de lumière les ait même encore éclairées, pour que je pusse comprendre toute la portée des phénomènes dont j’ai été le témoin ignorant. » Il fallut peut-être à M. de Balzac, pour éveiller et ressusciter cet ancien Lambert enseveli en lui, qu’un éclair lui vînt, tombé du front d’Hébal, ce noble frère de la même famille. Quoi qu’il en soit, ce que M. de Balzac confesse à l’article du souvenir de Lambert est vrai en général de tous les heureux souvenirs dont se nourrit et s’empare son imagi-