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ment occupé par un marécage touffu, et elle commençait à presser le pas, comme si elle avait renoncé à toute espérance, lorsqu’elle vit les roseaux du marais s’agiter. Un cliquetis de fer retentit, la pointe d’une baïonnette apparut ; puis une figure sanglante se souleva avec effort.

La Bretonne s’arrêta tout court. Elle ne jeta pas le moindre cri ; mais elle serra plus fortement le manche de sa faucille.

Cependant des gestes et quelques mots prononcés en breton du pays l’engagèrent à s’approcher ; elle fit quelques pas dans les herbages.

Le blessé était parvenu à se mettre à genoux, en s’appuyant sur son fusil, et la paysanne vit, à sa veste bleue garnie de boutons pressés, que c’était un marin[1].

Elle s’arrêta de nouveau indécise. Mais il lui cria d’approcher, en lui disant qu’il ne voulait point lui faire de mal, qu’il pouvait d’ailleurs à peine remuer, ayant eu la jambe fracassée par une balle.

La paysanne enhardie avança de quelques pas.

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle brièvement.

— Y a-t-il des bleus ici près ?

— Les bleus sont partis.

— Partis !… Et depuis quand ?

— Depuis hier.

— Cela n’est pas possible, s’écria le marin ; est-ce que nous n’avons pas été les plus forts ?

La paysanne ne répondit rien. Elle resta droite et impassible, comme si elle n’avait pas entendu. Elle mentait pourtant, car les bleus étaient à Auray.

Le marin recommença ses questions ; elle y répondit de manière à lui faire croire qu’il était abandonné et sans espoir de secours. Blessé la veille, lorsqu’il tiraillait avec les chouans, vers la fin du jour, le malheureux avait passé la nuit dans les roseaux du marais, sans pouvoir faire un mouvement, et torturé par d’affreuses souffrances. Il avait espéré que le jour lui permettrait de faire con-

  1. Plusieurs compagnies de marins se trouvèrent à la journée d’Auray et combattirent près des fédérés avec le plus grand courage.