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POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

plus un supplice ordinaire, ayant son temps et son terme, il passa dans le domaine public, il entra dans les mœurs ! Elle marcha, semblable à Caïn, avec la marque fatale au front, au milieu d’hommes qui, comme autant de piloris vivans, lui chantaient son crime et la maudissaient. En vain voulut-elle fuir de la paroisse ; partout où pouvait arriver une brise, partout où pouvait parvenir la voix d’un berger, le refrain terrible retentissait.

Un jour (c’est-elle-même qui l’a raconté), elle rencontra dans un champ, loin d’Auray, un petit garçon de six à sept ans, qui cueillait des marguerites. Elle s’approcha et s’assit à ses côtés ; pour elle, malheureuse abandonnée, qui depuis un an n’avait touché la main de personne, c’était une grande joie que de caresser cet enfant. Elle le prit sur ses genoux, et se mit à le caresser à la façon d’une mère, en lui chantant des complaintes ; quand elle eut fini :

— Je sais une plus belle chanson que toi, dit l’enfant ; écoute, c’est mon père qui me l’a apprise.

Et il se mit à chanter :

« Écoutez tous, chrétiens, écoutez le crime. Maria Marker a tué un bleu d’un coup de faucille, un bleu qui lui demandait miséricorde dans la langue de sa paroisse, et qui était un pauvre conscrit du pays ! »

La malheureuse laissa rouler le petit garçon à terre, en jetant un cri, et elle s’enfuit à toutes jambes.

C’était trop de honte et de douleur pour une seule tête ; la tueuse y succomba ; elle perdit la raison.

Quand je la vis, il y avait déjà plusieurs années qu’elle était folle. Je fus frappé de son aspect. C’était encore une large et forte fille d’environ vingt-quatre ans, carrément taillée à l’ébauchoir. Ses membres, où les muscles et les veines disparaissaient enfouis dans des chairs tannées, semblaient formés de deux pièces lourdement articulées. Elle rappelait, pour l’ensemble, ces Vierges de pierre que l’on voit, debout, dans les niches de nos fontaines consacrées ; œuvres brutes, dans lesquelles l’art n’a fait tomber que la moitié du voile de granit qui cachait la statue, et qui laissent douter s’il y a là dessous quelqu’un, ou si ce n’est qu’une pierre. Cependant, vu de près, le visage de la tueuse avait une expression singulièrement farouche. C’était une face anguleuse, pleine de lignes qui