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CONVERSATIONS DE CHÂTEAUBRIAND.

loin d’être démontrées. Certaines idées s’y produisent, qui semblent quelque peu paradoxales ; mais aussi combien d’autres vraies et profondes ! Le gouvernement ne périra que sous les coups de son aristocratie ! Ne serions-nous pas à la veille déjà de voir cette grave prédiction se vérifier, aujourd’hui que voici lord Wellington, le vieux pilote, remis au gouvernail de ce vieux navire qui fait eau de toutes parts ?

Reportant les yeux vers la France, M. de Châteaubriand en examinait aussi l’état : il y voyait l’amour de l’égalité, le trait distinctif prédominant ; puis il comparait les deux pays l’un à l’autre, leurs idées d’égalité et de liberté, la destinée de leurs noblesses. « En Angleterre, observait-il, on ne comprend pas ce que les Français appellent l’égalité. On se demande : Est-ce la faculté d’obtenir des places et de parvenir aux honneurs ? Est-ce l’égalité devant la loi ? Les Français sont en possession de ces droits, et les Anglais ne conçoivent pas qu’il puisse exister une autre égalité que celle-là ! » Et, après un silence, il complétait éloquemment sa pensée par cet énergique rapprochement : « La noblesse d’Angleterre, pour avoir été vaincue avec Charles Stuart qu’elle avait soutenu les armes à la main, n’a cependant pas été détruite. Elle s’est conservée noblesse, et elle est venue se constituer en pairie, ayant traversé toute une révolution, sans rien perdre de ses droits, sans voir la moindre atteinte portée à son aristocratie. La noblesse française, au contraire, a péri en entier sous la guillotine ; elle a été vaincue, mais par le bourreau, et dès lors elle a été éteinte sans retour, et il ne s’est reformé de ses cendres qu’une noblesse mêlée, sans priviléges et sans souvenirs. »

On aurait tort de supposer que M. de Châteaubriand, même à cette époque, témoignât la moindre amertume contre cette révolution de 89 qui avait mis au néant l’aristocratie, et pulvérisé le principe monarchique. Dès lors, c’est-à-dire en 1822, — la date importe ici, — il faisait ouvertement cette profession de foi, consignée dans ses Mémoires inédits, qui est la clé de toute sa vie politique : « Je suis républicain par goût, bourboniste par devoir, et royaliste par raison. » Qui oserait prétendre qu’il n’a point été religieusement fidèle à cette triple devise ?