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tières, danses bizarres des vivans sur les tombes, qui ont donné aux artistes de l’époque suivante l’idée de la fameuse danse macabre, dans laquelle la Mort grimaçante prend de sa main de squelette et fait danser au son de sa rote tous les états, depuis les Reines et les Archevêques jusqu’aux courtisanes et aux mendians.

La troisième période nous montrera l’art dramatique échappant en partie, comme les autres arts, des mains affaiblies du sacerdoce, pour passer au xiiie siècle, dans celles des communautés laïques, pleines de cette ferveur pieuse et de cet enthousiasme de liberté qui amenèrent, trois siècles après, l’entier affranchissement de la pensée et la complète sécularisation des arts, nouvelle période que nous n’entamerons pas et qui constitue proprement l’ère moderne.

Dès l’ouverture de cette période, qu’on peut appeler celle des confréries, nous verrons le drame ecclésiastique obligé de renoncer à la langue latine et de la remplacer par les idiomes séculiers. Devenu, peu à peu, trop étendu pour conserver sa place dans les offices, le drame liturgique fut représenté, les jours de fêtes, après le sermon. La bibliothèque royale possède un précieux manuscrit des premières années du xve siècle, qui ne contient pas moins de quarante drames ou miracles tous en l’honneur de la Vierge, précédés la plupart du sermon en prose qui leur servait de prologue. Déjà dans ce recueil, dont la composition remonte au xive siècle, plusieurs légendes laïques et chevaleresques, telles que celle de Robert-le-Diable, qui sera bientôt publiée, par parenthèse, dénotent l’affaiblissement graduel et la prochaine décadence du véritable drame hiératique. Enfin l’étendue toujours croissante que prennent les mystères en langue vulgaire, obligea le clergé de laisser transporter la scène du jubé dans le parvis, ou le nombre infini des personnages rendit bientôt nécessaire la coopération des confréries qui éloignèrent de plus en plus ces représentations du lieu et des idées qui leur avaient donné naissance. Je vous ferai connaître tel de ces drames prodigieux où ne figurent pas moins de cent, de deux cents et même de six cents acteurs. Il fallait alors presque la moitié des habitans d’une ville pour amuser ou édifier l’autre. Ainsi le drame chrétien sortit peu à peu de l’église et bientôt après des mains du clergé.