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tures et les langues forcées et comme démantelées par le progrès des idées et par l’action des mœurs nouvelles, s’usent et se disjoignent, pour ainsi dire, comme nos maisons et nos vêtemens, comme nos institutions et nos lois : tout ce que crée l’homme est sujet à dépérir. L’époque de cette dissolution, de cette dislocation des nationalités et des langues, est proprement ce qu’on appelle la barbarie ; mais nos facultés, que nous n’avons pas créées, ne se dissolvent pas pour s’aggrandir comme nos sociétés et nos idiomes : l’homme meurt, et l’humanité progresse. La raison, la sensibilité, l’imagination humaines ne cessent de croître et de se fortifier, même au moment où nos langues succombent et se décomposent. Il est curieux alors de voir l’esprit humain, plus fort que ses moyens d’expression, lutter contre la langue qu’il a brisée, achever de la ruiner par ses efforts et s’échapper en traits de flamme à travers les lézardes et les solécismes du discours. Tel est le triste et singulier spectacle que nous offrent les écrivains et surtout les poètes, aux époques de barbarie. Cette étude serait encore historiquement et psycologiquement d’un vif intérêt, même quand il n’en résulterait pas une utilité immédiate dans l’ordre poétique et littéraire. Mais il n’en est pas ainsi, messieurs ; si l’étude des monumens dramatiques du moyen-âge ne nous fournit directement aucun chef-d’œuvre à admirer, du moins nos recherches jetteront-elles un jour nécessaire et tout nouveau sur des chefs-d’œuvre plus récens, dont elles seront le plus lumineux commentaire. Les grands dramatistes chrétiens des xvie et xviie siècles, Lope de Vega, Shakspeare, Calderon, ne peuvent être bien compris qu’autant que vous aurez vécu assez long-temps dans l’intimité de leurs prédécesseurs et que vous serez suffisamment familiarisés avec leurs idées, leurs croyances et leur poétique. Dante, Lope de Vega, Calderon, Shakspeare, ont résumé dans des langues parfaites, et ont élevé à une forme artistique impérissable, les vagues et flottantes conceptions du moyen-âge. Les études que nous allons faire cette année, messieurs, sont des prolégomènes indispensables pour arriver à la complète intelligence de ces grands poètes catholiques. Vous me pardonnerez donc la rudesse du chemin que nous allons suivre, en considération du but où il nous conduit.