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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

Alors Copernic fit rester le soleil immobile et tourner la terre autour du soleil, et sur-le-champ tout s’arrangea à merveille. Jadis la raison, comme le soleil, courait autour du monde des faits, pour les éclairer de sa lumière. Mais Kant fait demeurer en place la raison, et le monde des faits tourne autour et s’éclaire à mesure qu’il arrive à portée de ce soleil intellectuel.

Ce peu de mots, par lesquels j’ai indiqué la tâche de Kant, suffit pour faire comprendre que je regarde comme la partie la plus importante, comme le point central de sa philosophie, la section de son livre où il traite des phénomènes et des nombres. Kant fait en effet une différence entre les apparitions des choses et les choses elles-mêmes. Comme nous ne pouvons rien savoir des objets qu’autant qu’ils se manifestent à nous par leur apparition, et que les objets ne se montrent pas à nous comme ils sont en eux-mêmes et par eux-mêmes, Kant a nommé les objets tels qu’ils nous apparaissent, phénomènes, et noumènes les objets tels qu’ils sont en eux-mêmes. Nous ne pouvons donc connaître les choses que comme phénomènes, et non comme noumènes. Les derniers sont purement problématiques : nous ne pouvons dire ni qu’ils existent, ni qu’ils n’existent pas. Le mot noumènes n’a été opposé à celui de phénomènes que pour pouvoir parler des choses au degré où elles sont reconnaissables pour nous, sans occuper notre jugement de celles qui lui sont inaccessibles. Kant n’a donc point, comme plusieurs maîtres que je ne veux pas nommer, distingué les objets en phénomènes et en noumènes, c’est-à-dire en choses qui existent et en choses qui n’existent pas pour nous. Ce serait là un véritable Bull irlandais en philosophie. Il n’a voulu exprimer qu’une donnée de limites. Dieu est, selon Kant, un noumène. Par suite de son argumentation, cet être idéal et transcendantal, qu’on avait jusqu’alors nommé Dieu, n’est qu’une supposition. C’est le résultat d’une illusion naturelle. Oui, Kant démontre comment nous ne pouvons rien savoir sur ce noumène, sur Dieu, et comme toute preuve raisonnable de son existence est impossible. Les paroles de Dante, Lasciate ogni speranza, nous les inscrivons sur cette partie de la Critique de la raison pure.

Je crois qu’on me dispensera volontiers d’expliquer cette partie où il traite des argumens de la raison spéculative en faveur de