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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

et du fini, et arrive à la conscience de l’amour inné et de l’harmonie de l’univers. Cette conscience émeut l’homme sensible dans la prière ou dans la contemplation des symboles sacrés. Le penseur en est pénétré dans l’exercice de cette sublime faculté de l’esprit que nous appelons raison, et dont la destination supérieure est de rechercher la nature de Dieu. Les hommes spécialement religieux s’occupent de ce problème pendant toute leur vie ; ils en sont secrètement tourmentés dès l’enfance, dès les premières incitations de la raison. L’auteur de ces pages se rappelle avoir éprouvé de bonne heure les élans de cette religiosité originelle qui ne l’a jamais abandonné depuis. Dieu fut toujours le commencement et la fin de toutes mes pensées. Si je me demande maintenant : Qu’est-ce que Dieu ? quelle est sa nature ? je me disais, lorsque j’étais enfant : Comment est Dieu ? quel air a-t-il ? Et alors j’ai pu regarder pendant des journées entières dans les profondeurs du ciel, et j’étais tout chagrin le soir de n’avoir jamais vu la très sainte figure de Dieu, mais seulement de grises et sottes charges de nuages. Je fus tout déconcerté par les leçons de l’astronomie, qu’alors, dans la période des lumières, on n’épargnait même pas aux petits enfans, et ne cessai de m’ébahir en pensant que toutes ces myriades d’étoiles étaient des globes aussi gros, aussi beaux que notre globe terrestre, et qu’un seul Dieu planait au-dessus de ce pêle-mêle de mondes. Je me rappelle qu’un jour, en songe, je vis Dieu, tout en haut, dans le dernier lointain. Il regarda avec un air satisfait du haut d’une petite fenêtre du ciel. C’était une bonne figure de vieillard avec une petite barbe de juif, et il répandait une foule de grains qui, en tombant du ciel, s’épanouirent dans l’espace infini, prirent un accroissement immense, jusqu’à ce qu’ils fussent devenus de véritables mondes rayonnans, resplendissans et peuplés, chacun aussi gros que le nôtre. Je n’ai jamais pu oublier cette figure, et j’ai souvent revu en songe l’aimable vieillard jetant du haut de sa petite fenêtre céleste la semence des mondes. Je le vis même une fois remuer et serrer les lèvres comme notre servante quand elle jetait de l’orge aux poulets. Mais je ne pus voir que les grains, qui s’étendaient en tombant en mondes éclatans. Quant aux grands poulets qui attendaient peut-être quelque part le bec ouvert, pour se repaître des mondes, je ne pus les apercevoir.