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tête. Et il aurait couru un tel risque pour une doctrine qui n’est pas seulement erronée, mais bien aussi ridicule ! Le Jupiter allemand resta tranquillement assis, et se laissa tranquillement adorer et encenser.

Je m’éloignerais trop de mon sujet si je me plaçais au point de vue des intérêts de l’art à cette époque, pour justifier encore plus complètement la conduite de Goëthe dans cette affaire de Fichte. Une seule circonstance parle en faveur de celui-ci, c’est que l’accusation n’était qu’un prétexte qui cachait la battue des traqueurs politiques ; car on peut bien accuser d’athéisme un théologien, parce qu’il s’est engagé à enseigner certaines doctrines déterminées ; mais un philosophe n’a pris et n’a pu prendre aucun engagement de cette nature, et sa pensée est libre comme l’oiseau du ciel. C’est peut-être mal à moi, pour ménager les sentimens de quelques personnes et les miens propres, de ne pas citer ici tout ce qui expliquait et justifiait même cette accusation. Je me bornerai à rapporter ce seul passage de l’écrit incriminé :

« … L’ordre moral vivant et agissant est Dieu même : nous n’avons pas besoin d’autre dieu et ne pouvons pas en comprendre d’autre. Il n’y a dans la raison aucun motif pour sortir de cet ordre moral de l’univers, et pour, au moyen d’une conclusion de l’effet à la cause, admettre encore un être particulier comme source de cet effet. L’entendement sain ne tire donc certainement pas cette conclusion ; il n’y a qu’une philosophie de malentendu qui le fasse… »

Comme c’est l’ordinaire chez les hommes entêtés, Fichte, dans son Appel au public et dans sa réponse judiciaire, s’exprima d’une manière encore plus tranchante et plus crue, et en termes qui blessent nos sentimens les plus intimes. Nous qui croyons à un Dieu réel qui se révèle à nos sens dans l’étendue infinie, et à notre esprit dans la pensée infinie ; nous qui adorons un Dieu visible dans la nature, et qui entendons dans notre ame sa voix sacrée, nous sommes désagréablement affectés par ce ton tranchant, et même ironique, dont Fichte déclare notre Dieu une pure chimère. On ne sait, dans le fait, s’il y a ironie ou extravagance quand Fichte dégage entièrement Dieu de tout attribut quelconque, et qu’il lui refuse même l’existence, parce que l’existence est une notion sen-