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Et il faut convenir, avec M. Drake, que, non seulement l’auteur emploie, dans sa prose aussi bien que dans ses vers, le même langage amoureux, mais encore que l’on remarque dans l’ensemble de ces deux citations, dont je n’ai donné ici que le commencement, une conformité évidente de sentimens et d’expressions.

C’est donc lord Southampton que Shakspeare, dans les dix-sept premiers sonnets, exhorte à se marier. Cependant, de 1594 à 1599, notre jeune lord était, comme chacun sait, l’admirateur passionné de la belle mistress Varnon. Sans doute ; mais rappelons-nous aussi que la reine désapprouva formellement cette passion du jeune comte, qui deux fois se vit forcé d’abandonner sa maîtresse, par déférence pour la volonté de sa capricieuse souveraine.

Lord Southampton avait vingt-un ans lorsque les charmes d’Élisabeth Vernon le blessèrent au cœur. Shakspeare était alors en grande faveur, en grande intimité auprès de lui, ainsi que le prouve la dédicace de Lucrèce. Le comte, indigné de cette intervention de la reine dans ses amours, jura probablement, comme un amant ne manque jamais de faire en pareille occasion, que, s’il ne pouvait pas épouser l’objet de son choix, il mourrait célibataire ; voilà pourquoi le poète combat ce vœu prématuré de célibat, en l’engageant à faire un choix quelconque ; et s’il ne prolonge pas ses instances au-delà de dix-sept sonnets, c’est que le comte, à son retour du continent en 1598, avait pris le parti d’épouser sa maîtresse, en dépit de la reine, et que par conséquent cette résolution coupait court à tout raisonnement, et voilà pourquoi Jaggard n’osa publier aucun de ces dix-sept sonnets dans son édition de Passionate Pilgrim en 1599, à une époque où Southampton et sa femme étaient détenus en prison par Élisabeth, qui les punissait de leur union clandestine.

Ici notre commentateur, après avoir établi le sexe par plusieurs exemples dont le dernier est concluant, s’efforce de démontrer, par diverses relations, que la passion de Shakspeare pour lord Southampton n’était rien de plus qu’une ardente amitié et une adoration intellectuelle, « religious love, » comme dit le poète lui-même, et que dans cet attachement on remarque un respect qui ne peut s’expliquer que par le rang élevé de celui qui en était l’objet.