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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

en représente à peu près dix-huit de France. Ajoutez à cela que le sentier va toujours en montant.

Les premières maisons que l’on rencontre sur ce sentier sont celles d’un petit village, appelé Naters en allemand, et Natria en latin. Ce dernier nom lui vient, dit une légende, d’un dragon qui le portait et qui le lui a légué en mourant. Ce dragon se tenait dans une petite caverne, d’où il s’élançait pour dévorer les bêtes et les gens qui avaient le malheur de paraître dans le cercle que lui permettait d’embrasser l’ouverture de son antre : il était tellement devenu la terreur des environs, qu’il avait interrompu toute communication entre le haut et le bas Valais. Plusieurs montagnards l’avaient cependant attaqué, mais comme ils avaient été, jusqu’au dernier, victimes de leur courage, personne n’osait plus depuis long-temps s’exposer à une mort que l’on regardait comme certaine.

Sur ces entrefaites, un serrurier qui avait assassiné sa femme par jalousie, fut condamné à mort. La sentence rendue, le coupable demanda à combattre le monstre. Sa demande lui fut accordée, et de plus, sa grace lui fut promise, s’il sortait vainqueur du combat. Le serrurier demanda deux mois pour s’y préparer.

Pendant ce temps, il se forgea une armure du plus pur acier qu’il put trouver, puis une épée qu’il trempa à la source glacée de l’Aar, et dans le sang d’un taureau fraîchement égorgé.

Il passa le jour et la nuit qui précédèrent le combat en prières dans l’église de Brieg ; le matin il communia, comme pour monter à l’échafaud ; puis, à l’heure dite, il s’avança vers la caverne du dragon.

À peine l’animal l’eut-il aperçu qu’il sortit de son rocher, déployant ses ailes, dont il se battait le corps avec un tel bruit, que ceux même qui étaient hors de sa portée en furent épouvantés.

Les deux adversaires marchèrent l’un contre l’autre comme deux ennemis acharnés, tous deux couverts de leur armure, l’un d’acier, l’autre d’écailles.

Arrivé à quelques pas du dragon, le serrurier baisa la poignée de son épée, qui était une croix, et attendit l’attaque de son adversaire. Celui-ci, de son côté, semblait comprendre qu’il n’avait point affaire à un montagnard ordinaire.