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IMPRESSIONS DE VOYAGES.

se leva de sa chaise, s’approcha, la mort dans l’ame, du premier service, et après l’avoir regardé attentivement, il dit avec un profond soupir : C’était une fille.

— Mesdames, dit M. Brunton en s’asseyant et en aiguisant un couteau, j’ai entendu dire qu’au siége de Gènes, pendant lequel, vous le savez, Masséna invita un jour tout son état-major à manger un chat et douze souris, on avait remarqué, au milieu du dépérissement général de nos troupes, un régiment qui se maintenait aussi frais et aussi dispos que s’il n’y avait pas eu de famine. La ville rendue, le général en chef interrogea le colonel sur cette étrange exception. Celui-ci alors avoua ingénuement que ses soldats étaient venus lui demander la permission de manger de l’Autrichien, et qu’il n’avait pas cru devoir leur refuser une aussi légère faveur ; il ajouta même qu’en sa qualité de colonel, les meilleurs morceaux lui étaient envoyés avec la régularité d’une distribution de vivres ordinaire, et que, malgré sa répugnance primitive, il avait fini par trouver, comme les autres, que les sujets de sa majesté impériale étaient un mets fort agréable.

Les cris redoublèrent.

Alors M. Brunton enleva fort délicatement l’épaule de l’objet en question, et se mit à l’attaquer avec autant d’appétit que l’avait fait Cérès lorsqu’elle dévora l’épaule de Pélops.

En ce moment la fille rentra, et voyant que M. Brunton était seul à table : Eh bien ! mesdames, dit-elle, est-ce que vous ne mangez pas de marmotte ?

La respiration nous revint. Mais, maintenant même que nous savions le secret, la ressemblance du quadrupède avec le bipède ne nous paraissait pas moins frappante ; ses mains et ses pieds surtout, articulés comme des membres humains, eussent suffi seuls pour m’empêcher de goûter de ce mets, que Willer m’avait tant vanté en gravissant le Faulhorn.

— N’avez-vous donc pas autre chose ? dis-je à notre camérière.

— Une omelette, si vous voulez.

— Va pour une omelette, dirent ces dames,

— Mais savez-vous la faire au moins ? Une omelette, ajoutai-je en me retournant vers ces dames, est à la cuisine ce que le sonnet est à la poésie.