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DE LA CRITIQUE FRANÇAISE.

de la rime, vous qui avez sillonné dans tous les sens le champ de la pensée, vous insulter à ce point ! oser vous mettre en parallèle avec les rimeurs de l’empire ! Oser vanter Voltaire et le défendre contre vous ! quelle ignorance, quelle injustice ! Voyez pourtant comme l’impunité les enhardit ! je voulais répondre, et vous m’avez retenu. Voilà ce que vous avez gagné par votre indulgence. Je prends en main votre cause ; laissez-moi faire : je saurai leur parler.

Et en effet, la critique marchande ne manque pas à sa promesse ; elle a pour son patron un enthousiasme inépuisable ; elle fouille généreusement au fond de son vocabulaire ; elle choisit, avec une attention délicate, toutes les formules de l’admiration. Elle raconte avec une prolixité complaisante la généalogie de l’accusé ; elle énumère ses titres, elle étale avec un faste insolent les services qu’il a rendus à la patrie. Au besoin, elle pleure des larmes abondantes ; et, après avoir dépensé toutes les ressources de son éloquence, elle termine comme le guerrier romain, en proposant de monter au Capitole et de rendre grace aux dieux.

Le lendemain, elle retourne chez celui qu’elle a vengé ; elle reçoit ses félicitations et s’excuse de les avoir si mal méritées. J’aurais voulu mieux faire, mais j’avais un cadre trop étroit pour me déployer à l’aise. Patience, un jour viendra où je pourrai parler du haut d’une tribune plus élevée ; mais pour cela, j’ai besoin de vous.

Le poète n’est pas ingrat ; il recommande avec emphase celui dont la voix l’a défendu. Protégé par son client, l’avocat double bientôt le prix de sa parole ; il escompte son dévouement à beaux deniers. Une fois sur le chemin de la fortune, il ne s’arrêtera plus : il a vendu sa louange, il s’applaudit de son marché ; mais il n’en restera pas là. S’il persévérait dans son admiration, ce serait de sa part une misérable duperie. La parole aux mains d’un homme habile est une richesse qui ne s’épuise pas si tôt. La reconnaissance est une vertu stérile : il y a quelque chose de plus savant, c’est de jouer double jeu. Il faut mener de front l’accusation et la plaidoirie.

Il a sculpté le marbre, il a élevé la statue ; mais le piédestal est bien haut et la statue bien solide. Se résigner à la contemplation silencieuse de son œuvre, c’est une niaiserie digne tout au plus