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LES INDIENS DE LA PAMPA.

J’ai connu, dans la province de Mendoza, un enfant qui fut repris sur ces Indiens, après deux ans d’esclavage ; les mauvais traitemens l’avaient abruti, il tremblait au moindre mot. On lui donnait à garder chez les sauvages trois à quatre cents moutons : les pillards des tribus voisines enlevaient souvent des brebis de son troupeau ; quand il reparaissait au toldo pour se plaindre à ses maîtres, ceux-ci s’amusaient à le faire courir à coups de fouet, pour avoir le barbare plaisir de le renverser avec leurs boules.

Les femmes sont en général mieux traitées ; il y en a même quelques-unes qui deviennent épouses favorites du cacique, malgré leur résistance. On leur permet aussi de faire rôtir leurs alimens, et de manger de la chair de bœuf ; c’est une grande faveur, car les Indiens se nourrissent ordinairement de cheval ; leur plus grand régal est d’ouvrir une jument pleine, de boire le sang tout chaud et de dévorer ensuite le petit près de naître. Ils prétendent que ce sang de cheval, ainsi pris, guérit de toutes les affections de poitrine.

Un des peones qui nous accompagnaient dans le voyage avait passé quatre ans chez les sauvages. Il fut pris jeune (les Indiens massacrent leurs captifs au-dessus de quinze ans et même les vieilles femmes), et, par un hasard heureux, le cacique l’adopta. On le traita bien, il fut admis de temps en temps dans les toldos, et peu à peu considéré comme un fils de la tribu. Sachant adroitement dissimuler son irrésistible désir de prendre la fuite, il parut se faire à son nouveau sort. Plusieurs captifs avaient été massacrés sous ses yeux ; c’était un avertissement terrible : mais il conservait toujours l’espoir lointain de retourner au pays des chrétiens.

Pendant les soirées pluvieuses de l’hiver, les Indiens se rassemblaient sous le toldo du cacique, et là, accroupis autour du feu, blottis en rond dans un coin, ils jouaient aux dés, et à un autre jeu appelé par les gauchos media suerte ; c’est une espèce d’osselet qu’on lance comme un palet, et qui doit retomber sur un côté donné. L’adroit captif trouva le moyen de piper les dés et les osselets, et gagna rapidement aux crédules Indiens les gergas, les ponchos, les brides, les peaux de tigres, seuls objets dont se compose la fortune de l’habitant du désert. Il s’éleva bien quelques voix pour accuser le chrétien de sortilège, mais une crainte superstitieuse