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REVUE. — CHRONIQUE.

font le premier pas de concessions et de politesse ; vous, députés de la France, il faut user de courtoisie en donnant quelques millions pour être dans la justice et le droit. » À ces mots, la chambre des députés votera d’acclamation ; M. Jay fera encore le plus beau rapport du monde, et le roi Louis-Philippe, avec sa finesse et sa ténacité habituelle, sera parvenu à ses fins.

La situation du ministère n’a point fait de progrès depuis quinze jours. Il y a eu quelque bavardage de journaux, quelque commérage de cotteries pour amener une dislocation immédiate. Nous répétons qu’il n’y aura pas de modification dans le ministère d’ici à la fin de la session, à moins d’événemens imprévus ; le cabinet a besoin du budget, et il ne veut pas se dissoudre avant de l’avoir obtenu complet. Après cette victoire financière, les petites rancunes secrètes éclateront ; on étouffe de se trouver ensemble, mais enfin il faut vivre, il ne faut pas une seconde fois présenter le spectacle déplorable d’un interrègne ministériel pendant quinze jours ; on se résigne à mille petits sacrifices ; après la session, on comptera.

La position de M. Guizot est-elle tenable ? Savez-vous pourquoi il reste au ministère, pourquoi il n’est pas renversé dans un mouvement parlementaire ? c’est que M. Thiers daigne le protéger. Voyez-vous l’homme grave, l’homme d’études, cette conscience austère, ne rester au pouvoir que sous le bon plaisir de M. Thiers !

Parcourez les bancs de la chambre, vous trouverez partout une majorité dessinée contre M. Guizot ; ses destinées ministérielles seraient finies déjà, si M. Thiers ne venait dire avec une supériorité dédaigneuse : « Je ne veux point laisser Guizot seul, il m’est nécessaire ; sans lui je ne puis être un homme considérable. » Et les centres, par l’influence qu’exerce M. Thiers, craignent alors de se prononcer contre M. Guizot : ils attendront l’ordre et le commandement du ministre de prédilection.

Cette situation pourra-t-elle durer ? nous ne le croyons pas. M. Guizot pourrait s’y résigner peut-être, mais M. Thiers est perfide : aujourd’hui qu’il a besoin de maintenir le ministère dans son intégralité, il prête la main à M. Guizot pour le justifier aux yeux des chambres ; il le protège, parce que ce qu’il redoute avant tout, c’est une dislocation du cabinet en pleine session. Mais quand cette session sera finie, cette amitié intime se refroidira ; est-il difficile de faire naître un incident pour l’altérer ? M. Thiers se débarrassera alors de M. Guizot comme il a secoué tant d’autres amitiés ; la reconnaissance ne l’a pas retenu, que sera-ce quand il s’agira de ces liens fragiles que forme une situation toute fortuite et de passage ?

Le budget obtenu, le remaniement ministériel s’opérera dans des com-