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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

moins prend un tel accroissement, que la faculté d’aimer et de comprendre pâlit de jour en jour et semble presque s’éteindre.

Vouloir sans aimer ni comprendre, c’est la vie commune, la vie qui nous entoure, la vie que nous coudoyons à chaque pas. Les plus hautes fortunes, les gloires les plus éclatantes, les plus grands noms de l’histoire, s’expliquent à la réflexion par les volontés persévérantes. Il faut bien le confesser, mais sans haine et sans humiliation, le succès couronne rarement les nobles passions, les idées généreuses, les projets mûris dans le recueillement ; les colosses de puissance, qui manient les nations et les pétrissent comme une pâte obéissante, interrogés sur le secret de leur génie, et résolus à la sincérité, n’auraient le plus souvent que trois mois à répondre : J’ai voulu.

Accepterons-nous cependant, comme un accomplissement de la loi morale, cette volonté monstrueuse et solitaire ? Abaisserons-nous le regard en signe de respect devant ces obstinations impitoyables qui renversent les trônes et gagnent les batailles, mais qui ne savent pas la raison de leur conduite ? Si les passions aveugles et l’intelligence égoïste n’obtiennent pas grâce aux pieds de la Conscience, serons-nous plus indulgens pour l’action marchant tête baissée au but qu’elle s’est désigné, et foulant aux pieds, comme inutiles, les instincts du cœur et les conseils de la pensée ?

L’homme qui s’en tient à vouloir, et qui veut avec suite, acquiert en peu de temps un pouvoir merveilleux ; comme il n’a pas de halte à faire pour apaiser ses désirs, ou résoudre ses doutes, chacun de ses pas est un progrès ; il ne fait que le chemin nécessaire, et c’est pour cela qu’il le fait vite ; il triomphe sans efforts des volontés variables et mobiles qui suivent le destin des passions et des idées. Délivré des préférences imprudentes et des lentes délibérations, il va droit et librement, sans regret, sans hésitation ; il veut, il réussit. À quel prix cette puissance est-elle conquise ? À quelles conditions l’homme volontaire obtient-il la souveraineté ? Élevée à ces gigantesques proportions, la volonté jalouse, inflexible, ne permet pas aux deux autres facultés de grandir sous son ombre ; le cœur se rétrécit, et la pensée se tait.

Si parfois ces facultés enfouies tentent le réveil et la révolte, la volonté les réduit au silence et les musèle comme un animal dan-