Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
253
HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

ou l’intelligence, auquel nous cédons par faiblesse, par lâcheté, mais qui, loin d’éveiller l’admiration, la rend impossible. Car il est dans la nature de la beauté réduite à la forme extérieure d’engourdir les facultés éminentes en excitant le désir. Le désir envisagé en soi, par cela seul qu’il est le désir, exclut la beauté souveraine. En présence de la beauté vraiment admirable le désir se tait, et l’admiration parle seule. Que le plus grand nombre, dans tous les temps, se méprenne sur la valeur de l’émotion éprouvée, et donne à la gloutonnerie de ses appétits des appellations éclatantes et menteuses, cela, sans doute, n’a pas lieu de nous surprendre. Comme le développement de sentimens élevés a besoin d’une éducation délicate et patiente, et que cette éducation est refusée à la multitude, il est tout simple que les sens décident l’opinion générale. C’est le contraire qui serait absurde ; car il implique assurément que les natures exquises et cultivées soient en majorité. Les mots n’auraient plus de signification, si la pureté du goût, la sagacité des jugemens, appartenaient à tout le monde.

Oui, la beauté sensuelle, la beauté qui réveille en sursaut les vieillards blasés, comme le poivre leurs estomacs paresseux, est une face de la réalité que l’invention ne doit pas négliger, mais une face mesquine et misérable.

Que si, en effet, on essaie d’estimer par ses conséquences cette manifestation partielle de la beauté, on trouve devant soi un libertinage impérieux, effronté, qui s’exalte dans l’assouvissement, qui éteint une à une toutes les passions généreuses, et qui bientôt réduit l’homme à la condition de la brute. Proclamer la beauté sensuelle comme la seule beauté positive, enfermer l’esthétique dans la physiologie, c’est, je le sais, un caprice assez commun chez les naturalistes : ce caprice n’a rien de préjudiciable aux intérêts de la science ; s’il arrive à Linnée ou à Meckel d’excommunier dédaigneusement, comme vaines et chimériques, les admirations qui ne reposent pas sur une forme palpable, la critique ne doit pas se mettre en frais de colère ; elle n’a qu’à renvoyer le naturaliste à ses études.

Enfin, la beauté extérieure ou objective réussit auprès de quelques-uns par la seule singularité. À mesure que la civilisation enlace dans son réseau des nations plus nombreuses, l’ennui grandit et