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de ces deux poésies viole ou respecte la loi morale. Non pas que j’attache à cette violation une valeur exagérée ; je ne crois pas à la mission dogmatique de la fantaisie. Là où commence l’enseignement, l’imagination n’a rien à faire, et réciproquement. Un poème conforme à tous les préceptes d’Épictète peut être d’ailleurs très pitoyable, et il peut arriver au génie le plus riche et le plus heureux d’insulter effrontément les plus saintes vertus.

Si je poursuis attentivement la comparaison de la morale et de la poésie, ce n’est pas dans l’espérance d’arriver à des conclusions absolues, ni surtout à des principes exclusifs. C’est la vérité que je cherche, mais la vérité, quelle qu’elle soit.

Quelle est donc la valeur de l’invention fondée sur la beauté objective ?

Dans la poésie lyrique, on sait vulgairement les résultats de cette méthode. Des talens du premier ordre ont pris soin de résoudre la question et d’épuiser l’évidence. Décrire depuis la première jusqu’à la dernière strophe ; après le paysage, le costume ; après le costume, le signalement de la figure, le procès-verbal complet du personnage qui parle ou qui écoute ; c’est un procédé populaire aujourd’hui jusqu’à la trivialité. Choisir dans les âges de la langue l’époque la plus féconde en images, négliger la syntaxe pour tisser plus librement la trame de ses métaphores, honnir la précision austère du xviie siècle, la clarté lumineuse du siècle suivant, remonter par un caprice bien explicable aux ambages indéfinis, à la phrase flottante du xvie, et, comme complément de cette résolution, mutiler à l’occasion la pensée la plus utile pour satisfaire aux exigences du rhythme et de la rime, c’est là ce qui s’appelle maintenant assouplir l’idiome lyrique, retremper l’arme émoussée du poète, planter l’ode sur le sol prosaïque de notre civilisation, la souder à nos mœurs par des racines profondes.

Dans le roman, la beauté objective n’a pas en apparence un rôle si éclatant. La prédilection la plus décidée pour le monde extérieur ne suffit pas à défrayer un récit ; il faut des acteurs et une fable. Or, les acteurs et la fable ne se passent pas volontiers de l’analyse des sentimens, c’est-à-dire de la partie la plus haute de la beauté. Pourtant, ce prodige, qui semblait impossible, il y a quelques années, s’est réalisé sous nos yeux. Nous avons eu un récit