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siècle une valeur obstinée. Il prêtera, s’il le faut, l’effronterie du libertinage à une femme jusque-là renommée par la ferveur maladive et cruelle de sa dévotion. D’un politique rusé, trafiquant du mensonge, et jouant les trônes de l’Europe avec une impassible habileté, il fera volontiers un coureur d’aventures, un débaucheur de filles. D’une courtisane souillée des plus hideuses caresses, prostituée à tous les carrefours, il voudra tirer une virginité renaissante, une pudeur énergique et sublime. Avec un valet de cour, condamné au rire et aux grelots, blasé sur la honte, usé sous le mépris, il essaiera de ressusciter la paternité vengeresse de Virginius. Rien ne lui coûtera pour accomplir son caprice. Il prendra Messaline pour amener sur sa bouche la plus divine et la plus pure des passions, la passion maternelle. Ces noms, qui pour lui n’ont aucun sens, lui serviront seulement à dater le costume de ses acteurs, et les pierres ou les boiseries de ses décorations.

Ainsi approvisionné de visières et de cottes de mailles, de perles et de velours, d’ogives et de pleins-cintres, il est bien avant dans sa besogne. Comme il se propose le spectacle, et non pas la pensée, il serait bien fou, vraiment, de s’épuiser en méditations pour atteindre le naturel dans le dialogue, et la vraisemblance dans la mise en scène. Quand un acteur le gêne, il lui ordonne de sortir, sans expliquer où il l’envoie. Sur un signe de sa main, quand il a besoin d’un morceau d’ensemble, la coulisse vomit une meute de courtisans dorés ou de conspirateurs furieux. Ne l’interrogez pas sur les desseins de ses personnages, sur les ressorts qui les agitent ou les illusions qui les conduisent. Il ne s’inquiète guère de ces puérilités. Pourvu qu’il ait à sa disposition une reine, un ruffian et un bourreau, il fait passer un drame sur ces trois têtes, comme un géomètre un cercle par trois points. — Il n’y a dans ce drame ni rire, ni larmes, ni émotion, ni attendrissement ; c’est un spectacle pour la multitude, et la multitude applaudit.

Heureusement la beauté idéale est aussi représentée parmi nous par des artistes glorieux. Nous avons d’admirables élégies, qui n’empruntent pas au monde extérieur une étincelle de leur éclat. Candide, majestueuse et chaste, l’ame qui rayonne et resplendit dans ces poétiques invocations, ne doit qu’à l’étude savante de la conscience les magnifiques trésors de sa pensée. Lorsqu’elle parle,