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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

cet homme rare, lui conseilla de donner la forme poétique à ses méditations. Il hésita long-temps, et finit par obéir à celle qui avait été sa garde-malade et sa bienfaitrice. Une autre dame du voisinage, lady Hesketh, venait l’encourager dans son travail. Ainsi ce personnage peu agréable fut consolé, soutenu, protégé, ranimé par deux femmes. Son calvinisme outré ne les effraya pas. Elles devinèrent son talent, et soulevèrent délicatement cette écorce de timidité, de défiance et de marasme qui le couvrait. Pauvre hypocondriaque ! Il se rassura peu à peu, comme ces animaux timides qui craignent la clarté du soleil, fuient la présence des étrangers, se soustraient aux caresses bruyantes, et que l’on n’apprivoise qu’à force de soins. La moitié de sa vie était absorbée par un délire triste, par une superstition incurable. Il se voyait damné ; la vengeance de Dieu le menaçait ; la miséricorde de Dieu ne le rassurait pas ; pour lui, comme pour le grand Pascal, l’enfer était béant et inexorable. Cette religion de douleur était le seul aliment de son âme. Les hommes lui semblaient autant d’ennemis ; et s’il ne s’armait pas contre eux de la colère insultante de Jean-Jacques, il fuyait leur approche avec un frémissement plus craintif.

Ces sensations pénibles, il les a transformées en poésie. En les livrant au public, il tomba malade de nouveau. Bientôt parurent ses Essais religieux et moraux, son excellente traduction d’Homère, et son admirable poème descriptif intitulé la Tâche (the Task).

Jamais poème ne s’est rapproché plus étroitement des rêveries de Jean-Jacques et des méditations d’Oberman. Pour goûter Cowper, il faut quitter tout souvenir du génie plastique des Grecs ; il est chrétien et septentrional. Cowper ne reproduit pas la nature pour elle-même ; il exprime avant tout les sensations que la nature lui communique ; il la voit à travers sa pensée. Poète descriptif, il échappe à ce défaut commun de la poésie descriptive, la minutie et le peu d’intérêt des détails. Un voile de religieuse mélancolie couvre son paysage et se trouve en parfait accord avec le ciel grisâtre, les collines veloutées, les forêts ombreuses et les chaumières ornées d’Angleterre. Tantôt vous croyez voir un petit cadre de Wouvermans, commenté par un poète-philosophe ; tantôt une plaine de Ruysdaël, avec la pluie qui tombe, la nuée lourde