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LETTRE POLITIQUE.

droit absolu, certes la reconnaissance du passé, les souvenirs de l’histoire, rien n’aurait pu être invoqué par la France pour la libérer de sa dette envers les États-Unis. Mais c’était ici une indemnité en partie bienveillante ; la dynastie qui arrivait en France pouvait invoquer à l’égard des États-Unis des souvenirs que l’Union américaine ne pouvait oublier : les fils de ces Anglais révoltés qui votaient des remercîmens à Lafayette, qui lui érigèrent des statues, et qui plus tard lui donnèrent un million, devaient aussi garder mémoire de ce prince qui avait le premier soutenu leurs droits, et fait reconnaître leur pavillon. Les Américains devaient leur existence politique à Louis xvi ; si la France, dans une guerre d’exception, avait porté quelque préjudice à leur commerce, préjudice largement compensé par les bénéfices qu’ils avaient fait d’ailleurs, la France aussi avait, à une autre époque, donné ses hommes, son argent, au profit des Américains. Puis cette affaire de la Louisiane, où des stipulations d’argent et de priviléges commerciaux n’avaient pas été exactement remplies par les États-Unis, tout cela devait rendre au moins très délicates les réclamations qu’aurait pu faire l’Amérique septentrionale, alors tout occupée de sa guerre avec l’Angleterre, et du traité qui la termina.

J’ai lu dans je ne sais quel discours de tribune, dans le rapport de M. Jay, je crois, que les Américains ne réclamèrent pas leur dette lors de la seconde invasion de la France, par le motif qu’ils ne voulurent pas se joindre à la coalition contre la France. Je pardonnerais ces sentimentales assertions à des journaux qui ont besoin de faire valoir les droits des États-Unis ; mais qu’un homme grave vienne débiter de pareilles choses à la tribune, cela ne se conçoit pas. Le gouvernement américain a toujours passé pour un gouvernement sincère, loyal ; mais, comme tout gouvernement marchand, il est intéressé : je ne sache pas qu’il se soit jamais laissé aller à ces mouvemens de générosité envers les nations qui sont ses débitrices. Je crois peu à ces désintéressemens d’état à état. Si les Américains ne pressèrent pas la liquidation de leurs créances à cette époque, c’est qu’ils ne croyaient pas leurs créances bien nettes ; le président en parlait dans ses discours en termes vagues, sous forme de doute et de prière, plutôt qu’avec ce ton impératif que Jackson a pris dans le dernier message. Ce qu’il faut remarquer aussi, c’est qu’à une époque où loin d’accabler la France, comme dans le traité de novembre 1815, tous les peuples concouraient à l’alléger par un atermoiement (je parle du congrès d’Aix-la-Chapelle), l’Amérique ne réclama pas davantage ; chose curieuse ! quand tout le monde liquide avec la France, l’Amérique se serait abstenue de liquider ! Elle a donc un droit spécial, une créance à part, dont la légitimité grandit en vieillissant.