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UNE RÉVOLUTION EN AMÉRIQUE.

rent un mouvement d’indignation général. Seul contre tous, Aguirre fut pris après une brillante résistance, et fut coucher en prison.

Le lendemain je déjeunai seul. Deux jours après, je partis pour me rendre sur les bords de l’Uruguay, et la première personne que je vis à mon retour fut encore Aguirre. Cette fois il se contenta de s’informer de ma santé sans me prendre à la gorge.

— Je viens vous demander une faveur, me dit-il en s’étendant de son long dans mon hamac. Que faites-vous ce matin ?

— Je reste chez moi, j’ai des lettres à écrire.

— C’est que je m’occupe en ce moment d’une révolution.

— D’une révolution ! m’écriai-je avec effroi.

— Oui, ce matin même, et si vous n’aviez rien de mieux à faire, vous m’obligeriez infiniment de me donner un coup de main. En pareille occasion vous pouvez compter…

— Et à qui en avez-vous ? Don Geronimo est la meilleure pâte de gouverneur qui soit dans toute la république.

— Je ne dis pas le contraire ; mais il y a je ne sais combien de temps qu’il est à son poste, et il ne parle pas de faire place à un autre ; si on lui en laisse prendre l’habitude, le jour du jugement dernier l’y trouvera encore ; c’est un scandale intolérable dont je veux délivrer ces bonnes gens qui n’entendent rien au gouvernement représentatif. Je vais leur donner une représentation d’une pièce qui se joue tous les six mois à Buenos-Ayres, avec le plus grand succès : mon futur gouverneur est tout prêt, voulez-vous être des nôtres ? Voyons.

— Cela m’est impossible ; je suis étranger.

— En ce cas, donnez-moi un cigare, et adieu !

Je me mis à écrire en maudissant toutes les républiques de l’Amérique. — Vers midi, j’entendis sur la place des cris de viva la patria ! à bas le gouverneur ! vive la liberté ! Je courus à ma fenêtre, et j’aperçus Aguirre débouchant sur la place un grand sabre à la main, et se dirigeant sur le cabildo à la tête d’une quinzaine de coquins, qui marchaient sans ordre à sa suite. À ce bruit, une douzaine de curieux comme moi se montrèrent sur les portes, aux fenêtres et aux coins des rues donnant sur la place.

Arrivé à quinze pas du cabildo, Aguirre fit faire halte à sa