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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

ne vivant qu’au jour le jour, dans le présent ; les autres tout entiers à l’avenir et dans l’ambition des espérances ; les autres, enfin, tout à l’amour du passé et à la mélancolie du souvenir. Il faut la ranger parmi ces derniers ; c’est vers le passé volontiers, vers le moment évanoui, qu’elle se retourne, dès que sa tâche lui en laisse le loisir. Les regrets, que la résignation tempère, sont désormais, et depuis l’Ange Gardien, l’inspiration naturelle de son chant. À côté de cette délicieuse composition de l’Ange, le premier recueil offrait de gracieux accompagnemens, comme le Dernier Jour de l’Année, et ces Feuilles de Saule, où tant de vague tristesse se module sur un rhythme si délicat. Sans entrer dans les questions polémiques, alors commençantes, Mme Tastu se rattachait à l’école nouvelle par un grand sentiment de l’art dans l’exécution. Cette pensée rêveuse et tendre aime à revêtir le rhythme le plus exact, à la façon de Béranger, que sous ce rapport elle imite un peu.

Au sortir du succès brillant de son premier recueil, Mme Tastu tenta d’agrandir le domaine de son inspiration, et d’entrer dans la poésie d’action, épique et dramatique. Une remarquable étude en vers sur Shakspeare l’avait préparée à cette excursion hardie, bien digne d’ailleurs d’un esprit aussi grave. Les Chroniques de France, publiées en 1829, furent pourtant jugées, en général, comme une erreur honorable d’un talent élégiaque et intime, trop docile cette fois aux conseils de quelque ami, savant historien. On n’y releva pas assez les belles émotions lyriques du Prologue, la fervente et sérieuse Introduction aux Temps modernes, et la fin du chant de Waterloo. Il est bien vrai qu’en somme le poids de l’armure avait trahi l’effort de la courageuse Herminie.

Le moindre succès des Chroniques se perdit bientôt pour Mme Tastu dans des adversités obscures et poignantes qui vinrent assujétir à des emplois obligés ce talent si sobre et si choisi. Elle n’hésita pas, mais elle souffrit. Elle pencha vers la prose son front de muse, elle détacha de ses mains l’étoile et le bandeau. L’inspiration, profondément découragée, qui remplit son récent volume, date de ce moment ; c’est à l’une de ces heures de veille et d’agonie où les poètes comme Lamartine écrivent les Novissima Verba, où les poètes comme Victor Hugo redisent Ce qu’on entend