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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

d’Hybernie s’allie au sultan pour faire la guerre au roi de Perse. Guillaume arrive en chevalier errant, au moment de la bataille ; il se jette au milieu des trois armées, en fait un carnage horrible et met tout en fuite. Le roi de Turquie, la rage dans le cœur, retourne chez lui pour assembler de nouvelles troupes. Il appelle à son secours « les serpents et les lions infernaux, les dragons volans, les tempêtes et les pluies de feu. » Toute la milice satanique répond à son invocation et se range sous ses drapeaux. Mais le duc Guillaume disperse cette nouvelle armée. « Il n’y a plus moyen d’y tenir, s’écrie un démon en se sauvant à toutes jambes ; jamais homme sur la terre n’a autant fatigué le diable que ce comte enragé. » cette phrase révèle sans doute la liaison que l’auteur a cru établir entre ce quatrième acte et le reste de son drame. Après avoir fait voler, par Guillaume, l’argent d’un évêque, enlever la femme de son frère, chasser un pape, il ne lui restait plus qu’à le faire se battre contre le démon et à le montrer vainqueur ; c’était le dernier coup de pinceau qui devait relever cette physionomie d’homme révolté contre tout, et plus méchant que le diable lui-même.

Au cinquième acte, l’action reprend son cours. Nous sommes transportés devant le monastère même de saint Bernard. C’est une campagne triste et aride : une fille couverte de haillons, les yeux hagards, les bras sanglans, arrive en courant.

LA JEUNE FILLE, se déchirant la poitrine.

Trois ans, trois ans qu’il est là le démon ! qu’il me possède, qu’il me force à aller, à venir, à rouler, à courir, à crier !… — Je vais à la mer, puis dans les campagnes, puis au sommet des arbres, puis dans les abîmes, puis dans le feu !… je vais, je cours, je hurle, je tue les enfans sur mon passage !… — Ah ! je veux, je veux monter au haut d’une tour, et je m’en précipiterai la tête en avant ; je veux aller près des grandes roues des moulins, et je verrai si elles peuvent dépecer mes membres. Ou bien, j’irai, j’irai par le monde, nuit et jour, toujours, sans cesse, sans m’arrêter. Je chercherai les lions, les serpens, les loups et les ours, et ce seront mes frères et mes compagnons, puisque je n’ai plus sur la terre ni frères ni compagnons. Le diable ! oh ! le diable ! Je l’entends qui me dit : — Prends un couteau ou une hache, et va sur la route, et tue le premier qui passera ; déchire sa chair avec tes dents et mange son cœur. — Lucifer, Lucifer… je te vois là !… tu as un grand voile sur la tête !… — Tue ! tue ! tue !…

(Il passe plusieurs personnes qu’elle tue successivement.)

Arrive saint Bernard ; elle court à lui ; saint Bernard lève la main, et elle tombe à ses genoux.