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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

LAVIGNE (qui est ivre et qui n’a entendu que les derniers mots.)

Je vas le mettre. Et nous verrons les moines courir les champs en retroussant leur robe comme des jeunes filles. Ce sera drôle !

Il va pour mettre le feu au couvent. Dans ce moment l’église s’illumine, et l’on entend le chant des prêtres.


Pange, lingua ; gloriosi
Corporis mysterium,
Sanguinisque pretiosi
Quem in mundi pretium
Fructus ventris generosi
Rex effudit gentium.


Le comte touché de ces chants tombe à genoux.

LE COMTE.

Miséricorde, mon Dieu ! miséricorde ! retenez votre justice et ne me punissez pas encore !…

En ce moment entre saint Bernard. « Repentez-vous sincèrement, dit-il au comte, et tout vous sera pardonné. » Mais Guillaume veut entrer dans le monastère avec ses soldats, pour y implorer la clémence du ciel, et le saint, qui doute encore de la réalité de cette conversion subite, s’y refuse. Le comte blessé se retire. Il revient pourtant le lendemain, mais l’impression momentanée qu’il avait reçue, en écoutant ces hymnes d’église tant de fois chantées dans son enfance, s’est déjà effacée. Il revient, le rire aux lèvres, l’orgueil au front et le sarcasme dans les regards. Alors commence une immense scène entre lui et saint Bernard. Le comte a beau avoir recours successivement à la raillerie, au dédain, à la menace ; il se débat en vain sous l’austère puissance du saint, le moine met le pied sur son orgueil, comme Marie sur la tête du serpent, et il le domine, il l’écrase de tout son poids. « Je suis au-dessus de tout ce qui est sur la terre, dit le comte. — Tu te trompes, méchant, répond le saint ; tu t’es levé de la cendre et de la poussière, et c’est là que tu as pris ton orgueil. Tu n’es le maître de rien. C’est Dieu qui commande. Tu es haut monté, eh bien ! malheur à toi ! Tu tomberas de plus haut, et ta chute sera plus lourde. » Guillaume, maîtrisé, surpris, veut encore soutenir son rôle de tyran ; mais son audace vient se briser comme un verre contre l’audace du solitaire. Il cherche vainement à défendre ses vices, à les légitimer ; à chaque apologie, saint Bernard répond par une preuve accablante et un anathème ; enfin, poussé à bout, le comte de Poitou se réfugie dans l’ironie ; il a l’air de céder, il affecte une humilité