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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

bientôt le tirer forcément de son repos. Les chouans se présentèrent à sa ferme, et, selon leur usage, le sommèrent avec menace de se joindre à eux. Riwal refusa. — Si tu ne nous suis, dit le chef en colère, nous tuerons tes vaches. — Cela ne ramènera pas les nobles au pays, répliqua tranquillement Riwal. — Nous brûlerons ta ferme. — Vous ferez bien, dit encore l’impassible paysan, car elle appartient à un gentilhomme. — Les chouans se retirèrent après quelques dégâts et quelque mauvais traitemens, mais en promettant de revenir. Le lendemain Riwal vendit ses bestiaux, ses attelages et son ménage, ne gardant qu’un lit clos pour sa famille et pour lui ; puis il attendit. Quelques jours après, comme il revenait des champs, sa femme lui dit ; — Les chouans sont venus, et ils ont brûlé le lit. — Ils n’ont pas brûlé la terre, dit Riwal, nous coucherons sur la terre. — Un autre jour il passait sur la grande route ; un détachement de bleus vint à lui : — Paysan, dit l’officier, sais-tu ce que c’est que cette flamme que l’on aperçoit là bas dans la vallée ? — Riwal tourna la tête de ce côté et devint pâle. — Cà, dit-il, après un moment de silence, c’est ma ferme où les chouans ont mis le feu. — Jacques ne s’était pas trompé. En arrivant avec les soldats, il trouva sa petite fille qui se chauffait à la flamme de l’incendie. Mais sa femme avait reconnu les coupables, elle déclara leurs noms, indiqua leurs demeures, et plusieurs furent arrêtés. Riwal partit le jour même avec sa famille pour une paroisse éloignée. Il n’y avait plus de sûreté pour lui près de Loudéac. Il loua une cabane sur les bords du Trieux, non loin de Lannion. Nul chouan n’avait encore paru de ce côté ; pendant un mois, Jacques fut tranquille et heureux.

Un soir, il entendit dire que le lendemain, jour de décade, on célébrait une fête patriotique à Lannion. Il y avait danse au bigniou, sous l’arbre de la liberté, et l’on devait y voir les dames de la ville, dans le costume de l’époque, avec le petit bonnet à cocarde tricolore, la guillotine d’ivoire suspendue en breloque à un collier de velours, les bas de laine bleue et les sabots blancs. Riwal était curieux de voir une semblable fête ; il y alla. Les réjouissances se prolongèrent fort tard, et quand il revint, la nuit était close, le vent était froid, le ciel chargé d’étoiles que de grands nuages voilaient par instans, de sorte que l’on passait alternativement d’une clarté douce à l’obscurité la plus profonde. Jacques, sans qu’il en sût la raison, sentait une tristesse insurmontable qui lui serrait le cœur, et, malgré lui, il pressa le pas ; il aperçut enfin, du haut de la montagne, la cheminée de sa cabane qui se dessinait par-dessus les arbres. Cette vue le soulagea, et il se hâta de prendre l’étroit sentier qui devait l’y conduire ; mais dans ce moment les nuages couvraient le ciel ; Riwal voyait à peine à ses pieds. Il arriva ainsi jusqu’auprès de l’endroit où