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REVUE DES DEUX MONDES.

Kitty Bell, vouée tout entière à ses deux enfans, oublie, en les caressant, l’inflexible sévérité de son mari. C’est à peine si elle se souvient des paroles dures et brutales de son maître. Une tresse des blonds cheveux que chaque jour sa bouche couvre de baisers suffit à sa joie et à sa résignation. Elle ne soupçonne pas les extases de l’amour, elle ne connaît les passions que par les récits désastreux. Façonnée dès long-temps aux austères enseignemens du christianisme, elle sait que la vertu n’est pas seulement de combattre le danger, mais bien aussi de l’éviter. Marcher sur le bord de l’abîme, et ne pas tomber, c’est une habileté glorieuse, mais coupable. La religion prescrit la prudence avant le courage. Il faut accepter la lutte, mais non pas l’engager. Toutes ces leçons, si vulgaires et si souvent méconnues, sont gravées dans le cœur de Kitty en caractères ineffaçables. Dieu et sa famille remplissent toutes ses journées ; enfermée sans regrets et sans larmes dans le cercle prévu de ses devoirs, elle ne murmure pas contre la longueur de la tâche. La sérénité laborieuse de sa vie suffit à ses ambitions. Chaque soir, elle s’endort dans la pieuse espérance de recommencer le chemin parcouru. Paisible et fière dans sa candeur, elle ne songe pas à s’abriter contre l’orage. Elle n’entend que la voix des anges, et le bruit qui se fait à ses pieds est pour elle comme s’il n’était pas.

Si le malheur éploré se trouve sur sa route, elle ne se défendra pas d’une généreuse compassion. Elle ne retiendra pas les larmes qui gonflent sa paupière. Elle sera tendre, dévouée, mais sans remords et sans crainte, car la pitié est au nombre des devoirs chrétiens. Interrogée par son maître sur le bien qu’elle a fait, elle se taira plutôt par modestie que par confusion. Elle ne veut pas dévoiler le sacrifice, de peur de le profaner ; elle se refuse à mentir, mais elle demande le temps de se recueillir pour épargner la honte à celui qu’elle a sauvé.

Et le jour où elle s’aperçoit que l’amour est entré dans son cœur, elle ne se pardonne pas l’aveu d’un désir coupable, et retourne à Dieu pour expier sa faiblesse.

Entre Chatterton et Kitty, le sage mûri par l’expérience et les années. Affilié à la secte la plus pure de la république universelle, à la secte des quakers, le docteur est indulgent aux douleurs qu’il ne partage pas. Il n’a pas subi les passions, mais il les connaît.