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province de l’empire ottoman. Toutefois, pour balancer l’autorité de ce lieutenant, et le maintenir toujours dans sa dépendance, il établit une oligarchie composée de vingt-quatre beys mameluks, entre lesquels il partagea le commandement des Livas.

C’était organiser l’anarchie. Cette division du pouvoir, sans rien équilibrer, détermina des hostilités permanentes entre les pachas et les beys. Une seule cause (et l’on en peut conclure quelle fut pendant trois cents ans l’horrible situation du pays) apportait une trêve à la guerre intestine : c’était la guerre étrangère.

Vainement l’Égypte, cette terre qui intervient toujours dans les affaires humaines, protesta contre la funeste présence de ces Asiatiques, en refusant à leurs enfans les conditions de viabilité qu’elle leur avait accordées d’abord, et dont elle est si prodigue envers d’autres races. Impuissans à se perpétuer par la génération, ils se recrutèrent de jeunes gens enlevés, comme leurs ancêtres, aux pays caucasiens ; et, comme pour discréditer ces droits du sang dont les dépouillait la nature, ils déclarèrent la dignité de bey incompatible avec la qualité de fils de Mameluk, réservant exclusivement le pouvoir à ceux d’entre eux qui auraient été pris ou achetés, en un mot aux esclaves. La servitude, leur seul moyen de reproduction sociale, devint donc aussi leur premier titre de noblesse, et ils offraient le spectacle unique d’une armée, d’un corps politique, d’une société toute entière frappée de stérilité, répudiée à la fois du monde et des hommes, et continuée depuis trois siècles par l’adoption, le rapt et le pillage, quand le sultan Sélim iii résolut d’arracher l’Égypte à leur désastreuse domination.

Déjà plusieurs beys avaient succombé dans des embûches tendues par les agens de la Porte ; mais en 1802, Mohammed-Pacha-Kousrouf, un des officiers turks qui avaient commandé l’armée pendant la campagne contre les Français, reçut, avec le pachalik d’Égypte, l’ordre secret d’exterminer la milice et ses chefs, et de diriger contre eux toutes les troupes dont il pourrait disposer. L’exécution de ce coup d’état était réservée à un bras plus fort. Mais l’idée première en appartient à ce prince, qui semble n’avoir précédé Mahmoud et Mohammed-Ali dans la carrière, que pour leur signaler la route et les écueils des réformes politiques.

Quinze mille hommes environ furent réunis sous les étendards du pacha ; agrégation bizarre où se trouvaient représentées toutes les contrées orientales, excepté cette Égypte pour la possession de laquelle on allait en venir aux mains, et qui jusqu’alors n’avait participé que par sa désolation aux débats dont elle était l’objet et le théâtre. L’infanterie se composait surtout de bandes albanaises, turques et barbaresques. La cava-