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MOHAMMED-ALI-PACHA.

sique, le Kordoufan et le Dar-Four, archipels d’oasis au milieu du désert, riches d’or, de cuivre, de fer, riches surtout d’une population nombreuse ; tous ces pays vierges, couvrant une étendue de trois cents lieues depuis la cataracte de Phylie jusqu’aux montagnes de l’Abyssinie, deviennent tributaires du vice-roi. Il ne régnait que sur la moitié du Nil : aujourd’hui le fleuve n’arrose pas une terre qui ne reconnaisse sa suzeraineté. Cette vaste région se résume dès-lors en deux grandes unités, le Nil et Mohammed-Ali.

Mais à l’orgueil que lui met au cœur ce prodigieux agrandissement, vient se mêler une déchirante et inconsolable douleur. Ismayl, son fils victorieux, sa joie et sa gloire, Ismayl est brûlé vif dans sa tente par un des rois africains qu’il a détrônés. Ah ! sans doute, cet affreux supplice est l’expiation de tant de sang répandu. — Et maintenant qu’il se souvienne, ce monarque dont les entrailles saignent, et qui pleure un fils ravi par le feu à ses embrassemens, qu’il se souvienne qu’il est le père aussi de ces peuples confiés à sa tutèle, et dont il a trop souvent prodigué la vie ! — Cette leçon terrible n’aura pas été donnée en vain. Sa politique abjurera ce vouloir impitoyable, ces habitudes sanguinaires qu’il avait crues nécessitées par son rôle de destruction, pour revêtir un caractère d’humanité et de clémence plus conforme à l’œuvre de régénération qu’il a désormais entreprise.

Il a réuni et coordonné les membres épars d’un vaste empire ; l’Égypte des Pharaons est reconstituée. Mais elle ne présente encore qu’un être matériel et inerte, un colosse sans chaleur, sans action et sans âme. À quel foyer va-t-il puiser l’animation qui doit, dans ce grand corps, régler le mouvement, éveiller la pensée, échauffer le cœur, en un mot faire circuler la vie ? C’est à la France qu’il va demander pour son œuvre ce souffle créateur ; car il a compris que l’immobile Orient a besoin de l’impulsion étrangère, et il se rappelle celle que les Français ont déjà donnée à son pays ; il sait que la France est savante comme l’Allemagne, industrielle comme l’Angleterre, et sympathique plus qu’aucun peuple d’Europe ; il sait qu’elle est la nation initiatrice et prêtresse par excellence, celle que son amour social, son génie novateur, son instinct de propagande, ont établie intermédiaire entre Dieu et l’humanité.

C’est donc à sa discipline qu’il confie l’éducation de l’Égypte. Les intérêts du commerce français sont représentés auprès de lui par un magistrat éclairé, un diplomate habile. Cet homme, Mohammed-Ali l’attire et le fixe près de sa personne ; il le caresse, il s’en empare, il lui arrache le secret de sa pensée ; au milieu des piéges dont l’entoure un suzerain jaloux,