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frayaient, et au lieu d’écouter avec une religieuse adoration les murmures des grandes mers, il tressaillait sur son lit, comme si la voix des élémens eût pleuré à son oreille, comme si les oiseaux de la tempête lui eussent apporté des nouvelles funèbres. La femme était plus courageuse ou plus imprévoyante. Ses faibles membres se fatiguaient vite, et quand son époux trouvait dans le travail une excitation douloureuse, elle s’étendait nonchalante sur les fleurs de la montagne, et s’endormait dans une sainte langueur, en murmurant des paroles de bénédiction pour son époux et pour son Dieu.

Elle ne savait rien des choses de la terre où elle venait d’être jetée ; elle trouvait partout de la joie, et ne s’effrayait de rien. La brièveté de la vie, si terrible pour l’homme, lui semblait un bienfait de la Providence. L’homme la contemplait chaque jour avec une surprise et une admiration nouvelles. Il la regardait comme supérieure à lui, malgré sa faiblesse, et souvent il lui disait : « Tu n’es pas ma sœur, tu n’es pas ma femme, tu es un ange que Dieu m’a envoyé pour me consoler, et qu’il me reprendra peut-être dans quelques jours, car il est impossible que tu meures. Une si belle création ne peut pas être anéantie. Promets-moi que, si tu me vois mourir, tu retourneras aux cieux, pour n’appartenir à personne après moi. »

Et elle promettait en souriant tout ce qu’il voulait, car elle ne savait pas si elle était immortelle ; elle ne s’en inquiétait pas, pourvu que son époux lui répétât sans cesse qu’il l’aimait plus que sa vie. Or, ils vivaient sur une montagne élevée, loin des lieux habités par les autres hommes ; car l’époux de la femme, tourmenté de crainte, avait transporté sa demeure et ses troupeaux dans le désert, afin de mieux cacher le trésor qui faisait son bonheur et ses angoisses. « Je ne comprends pas, lui disait-il, le sentiment que vous m’avez inspiré pour mes frères. Je les chérissais avant de vous connaître, et malgré mon goût pour la solitude, j’aurais tout partagé volontiers avec eux. Quand je descendais dans la vallée, aux jours de fête, leur vue réjouissait mon ame, et je priais avec plus de ferveur prosterné au milieu d’eux dans le temple. Aujourd’hui leur approche m’est odieuse, et quand je les vois de loin je me cache, de peur qu’ils ne m’abordent et ne cherchent à pénétrer