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femme, et l’un et l’autre ils employaient leurs loisirs à tourner des vers, en attendant que Dieu leur fît la grâce de leur envoyer un héritier. En l’année 1589, il leur naquit un fils. Ce fut un beau jour. Il y avait dans le voisinage un moulin que l’on appelait Laroche-Racan. C’était un fief ; le sire de Bueil l’acheta le jour même, et voulut que dès-lors son fils en prît le titre. Le jeune Racan passa ses premières années dans la maison paternelle. Il y puisa de bonne heure le goût des vers ; de bonne heure aussi, il témoigna pour l’étude une aversion assez grande, jusque là même, dit-on, qu’il ne comprit jamais le latin, et n’eût su dire son Confiteor. Ne croirait-on pas qu’il va sortir de là un génie libre de l’érudition pédantesque qui étouffe le siècle, un poète original ?

L’enfant grandissait. Il fallut songer sérieusement au renom de la famille. L’usage voulait qu’un bon gentilhomme allât à la cour pour y prendre les belles manières, et guerroyât à la suite de quelque grand seigneur. On se souvint au vieux manoir que l’écuyer de Henri iv avait épousé une dame de la maison de Bueil, et on se décida à lui adresser le jeune Racan pour qu’il en fît son page. Abandonner seul à Paris cet enfant si frêle et si délicat, c’était grand souci pour la pauvre mère. Je ne sais si l’enfant regretta fort sa Touraine : ce nom de Paris a tant de prestige pour une jeune ame. Les mères seules en ont peur.

Racan apprit bien vite à cette nouvelle école le scepticisme et l’immoralité galante de la cour de Henri iv. On peut en juger par ses premiers vers :


Vieux corps tout épuisé de sang et de moüelle, etc.


Il y a dans ces imprécations contre un vieillard jaloux une naïveté de sensualisme qui étonne.

Précisément à la même époque, Henri iv envoyait au duc de Bellegarde un nouveau commensal : c’était Malherbe. Racan dit simplement le fait dans ces mémoires qu’il a écrits pour Ménage. J’aurais voulu apprendre de lui-même comment se forma entre son maître et lui cette amitié qui dura jusqu’à la mort du premier. J’imagine que madame de Bellegarde, pour faire à son nouvel hôte les honneurs de sa maison, lui dit négligemment qu’il y avait par