Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/547

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
543
ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.


Cette belle élégie sur la retraite, que nous savons tous depuis l’enfance, couronne dignement cette féconde époque de la vie de Racan.

On pourrait dire qu’elle a clos sa carrière poétique. Malherbe mort, Racan se tait, et son silence dure vingt ans. Il semblait que Malherbe eût emporté dans la tombe le génie de son disciple. Mais je n’hésite pas à le dire, ces années de silence et de repos furent les plus poétiques de sa vie. Muet pendant douze années, Jean Racine épanchait en douces larmes toute la poésie de son ame. La poésie de Racan s’en allait en molles et oublieuses rêveries au fond des bois, en causeries au coin du feu. Il avait quitté en se mariant la profession des armes, et, retiré dans son manoir, il y faisait de chacun de ses jours le commentaire vivant de ses belles stances. Il avait chanté cette nature, aussi long-temps que la fortune l’en avait tenu éloigné. L’inspiration était pour lui dans ses regrets et dans la mélancolie de ses désirs. Mais ces désirs une fois satisfaits, il jouit des paresseuses délices de la solitude et de l’oubli, sans plus songer à la gloire. Y avait-il jamais songé ? Ces troupeaux qui, le soir, descendent des collines, il ne sait plus les peindre, il les regarde ; ces feuilles qui frémissent harmonieusement sur la lisière des bois, il n’a plus souci de reproduire leur murmure lointain dans ses vers, il prête l’oreille au vent qui le lui jette avec les senteurs du matin. Il a bien assez de jouir sans prendre la peine de chanter : c’est tout au plus s’il prend celle de vivre par lui-même. Il semble qu’il se repose de ce soin sur sa femme, et nous verrons quelque jour qu’elle ira le prendre à l’Académie, comme un enfant qu’il faut ramener de l’école.

L’Académie avait été fondée au mois de janvier 1635. Racan fut un de ses premiers membres, et dans le fauteuil qu’il occupa jusqu’en 1670, le 15 juin 1693, vint s’asseoir Jean de La Bruyère.

Il fut établi que chacun des académiciens prononcerait à son tour une harangue. Le 9 juillet, M. de Sérizay en lut une contre les sciences qui lui était venue de Touraine. Au choix du sujet, vous reconnaissez l’orateur ; elle était de Racan. Vainement on y chercherait l’inspiration amère du discours de Rousseau. Racan ne reproche à la science que de troubler sa paresse. Il n’a pas d’autre objection à lui faire. Son discours n’est qu’une épigramme