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REVUE. — CHRONIQUE.

Il est triste cependant d’avoir à réhabiliter une œuvre médiocre, par cette seule raison qu’il vient d’en éclore une pire. Durant tout le cours de la représentation, le public est demeuré parfaitement froid et dédaigneux. À la fin, quelques amis ont voulu faire une petite ovation à M. Halévy, qu’ils ont appelé à cris tumultueux.

Personne, dans la salle, ne s’est opposé à ces innocens désirs, manifestés avec tant de bonne foi et d’unanimité. Déjà les loges étaient désertes, et le public a senti qu’il devait se retirer pour ne pas troubler cette fête de famille. M. Halévy a paru traîné par Nourrit. Arrivés sur le proscenium, M. Halévy et Nourrit se sont embrassés dans une accolade toute fraternelle. Que si vous nous trouvez sévères envers un homme de conscience et de talent, nous répondrons que devant la critique honnête et pure, il n’existe que des œuvres bonnes ou méchantes, et que c’est son devoir de cultiver les unes, et de les émonder, afin qu’elles fleurissent au soleil, et d’arracher les autres sans pitié : il est pénible, nous le savons, d’élever la voix pour troubler un auteur dans sa fête ; mais les intérêts de l’art marchent avant ceux d’un individu, et quand on le doit, ce serait lâcheté d’hésiter un instant à le faire. On n’arrache l’ivraie avec obstination que là où l’on sait bien que le bon grain peut naître.

Quelles que soient nos critiques, néanmoins nous ne serions pas surpris que la Juive réussît à fixer la foule, et valût à l’Opéra de belles recettes. La pompe du spectacle, les beaux talents de Nourrit et de Mlle Falcon sont de puissans auxiliaires.

— On vient de représenter à l’Ambigu-Comique un drame en cinq actes de M. Mallefille, Glen-Arvon, qui se recommande par des qualités littéraires assez rares à ce théâtre. C’est le premier ouvrage d’un jeune homme pour lequel ce début nous paraît du plus heureux augure.


— On nous raconte une anecdote qui, pour n’avoir pas été insérée dans la colonne gauche, partie officielle du Moniteur, n’est cependant pas tout-à-fait invraisemblable. M. Anatole Demidoff, est décoré, voilà le fait ; voici maintenant l’explication : M. Anatole Demidoff, qui a eu le malheur d’acheter le tableau de M. Bruloff, sans doute par patriotisme, ce qui est fort excusable et peut-être méritoire, a eu le bon goût de se dédommager au dernier salon, en achetant la Jane Grey de M. Paul Delaroche. Il paraît que l’acquéreur de ce tableau si vanté n’a pas trouvé dans la possession du chef-d’œuvre une joie suffisante. Il a cru que son rôle de Mécène méritait une récompense ; il a eu la fantaisie d’être décoré de la légion-