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ANDRÉ.

nobles et plus heureuses. Les mœurs de certaines tribus montagnardes le prouvent avec une évidence éclatante ; la nature, il est vrai, prodigue de grands spectacles dans de telles régions, s’est chargée de l’éducation de ces hommes, mais les chants des bardes sont descendus dans les vallées, et les idées poétiques peuvent s’ajuster à la taille de tous les hommes. L’un porte sa poésie sur son front, un autre dans son cœur ; celui-ci la cherche dans une promenade lente et silencieuse au sein des plaines, celui-là la poursuit au galop de son cheval, à travers les ravins ; un troisième l’arrose sur sa fenêtre, dans un pot de tulipes ; au lieu de demander où elle est, ne devrait-on pas demander : « Où n’est-elle pas ? » Si ce n’était qu’une langue, elle pourrait se perdre ; mais c’est une essence qui se compose de deux choses : la beauté répandue dans la nature extérieure, et le sentiment départi à toute intelligence ordinaire. Pour condamner à mort la poésie, et la porter au cercueil, il nous faudra donc arracher du sol jusqu’à la dernière des fleurettes dont Geneviève faisait ses bouquets.

Car elle aussi était poète, et croyez bien qu’il y a au fond des plus sombres masures, au sein des plus médiocres conditions, beaucoup d’existences qui s’achèvent sans avoir produit un sonnet, mais qui pourtant sont de magnifiques poèmes.

Il faut bien peu de chose pour éveiller ces esprits endormis dans l’épaisse atmosphère de l’ignorance, et pour les entourer à jamais d’une lumineuse auréole qui ne les quitte plus. Un livre tombé sous la main, un chant ou quelques paroles recueillies d’un passant, une étude entreprise dans un dessein prosaïque, ou par nécessité, le moindre hasard providentiel suffit à une ame élue pour découvrir un monde d’idées et de sentimens. C’est ce qui était arrivé à Geneviève. L’art frivole d’imiter les fleurs l’avait conduite à examiner ses modèles, à les aimer, à chercher dans l’étude de la nature un moyen de perfectionner son intelligence ; peu à peu elle s’était identifiée avec elle, et chaque jour, dans le secret de son cœur, elle dévorait avidement le livre immense ouvert devant ses yeux. Elle ne songeait pas à approfondir d’autre science que celle à laquelle tous ses instans étaient forcément consacrés ; mais elle avait surpris le secret de l’universelle harmonie. Ce monde inanimé qu’autrefois elle regardait sans le voir, elle le comprenait