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mites. Le régent ne répondit pas d’abord à une aussi étrange proposition ; mais lord Ponsomby revenant de nouveau à la charge, son interlocuteur, comprenant bien qu’on lui tendait un piége, se fâcha sérieusement avec l’ambassadeur qu’il cessa de revoir jusqu’au moment où se nouèrent les négociations qui placèrent le prince de Saxe-Cobourg sur ce trône, objet de tant d’intrigues.

La régence de M. Surlet de Chokier dura cinq mois moins cinq jours, et dans ce court laps de temps, il vit passer devant ses yeux ce qui aurait dégoûté du pouvoir l’homme le plus ambitieux. Cette parodie de la royauté commença par une conspiration qui avorta plutôt par le manque d’énergie des conspirateurs que par la prévoyance du gouvernement. À peine échappé à ce premier danger, le régent vit son ministère en butte aux attaques les plus violentes ; il le changea pour un autre qui ne réussit pas mieux, et qui fut inauguré par des émeutes et des pillages. On reprochait au premier de continuer la révolution ; on fit un crime au second de la conduire dans des voies rétrogrades et à la remorque des cabinets étrangers, comme si la Belgique pouvait espérer se maintenir contre le gré des puissances qui la convoitaient déjà du regard.

Si nous ne nous trompons, ce dut être un beau jour pour M. de Chokier que le 21 juillet 1831, quand il déposa ses pouvoirs entre les mains du président du congrès, et qu’il vit s’avancer le prince de Saxe-Cobourg au milieu des salves et des bravos populaires, pour prendre à son tour ce sceptre si lourd à porter. Avec quel plaisir il dut revoir son petit village de Gingelom, et troquer le trône de la régence contre le bon fauteuil de bourgmestre qu’il occupe aujourd’hui.

Ce n’est pas que pendant ses jours de grandeur il ait eu le temps de se blaser sur les luxueuses jouissances de la vie royale. Il n’avait ajouté à ses habitudes de bon bourgeois qu’une voiture de louage qu’il payait prudemment au mois, ne voulant pas engager dans les liens d’un bail les chances de son éphémère souveraineté. Le jour de son installation comme régent, il fit pour la première fois l’essai de ce remise aristocratiquement vernis et attelé de deux gros chevaux brabançons. Comme on venait de replier le marche-pied derrière lui, il vit tout d’un coup les chevaux disparaître au milieu d’un flot de peuple, et il sentit la voiture s’ébranler sous l’ef-