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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/101

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ANDRÉ.

Geneviève s’était élancée entre eux avec un gémissement d’horreur ; elle avait saisi le bras d’André et l’avait contraint à céder. La chemise du marquis fut à peine effleurée par la lame, et Geneviève se coupa les doigts assez profondément en cherchant à s’en emparer. — Ton père, ton père ; c’est ton père ! criait-elle à André d’une voix étouffée ; André laissa tomber le couteau et s’évanouit.

La servante essaya de jeter sur Geneviève tout l’odieux de cette scène déplorable ; mais le marquis avait vu de trop près les choses, pour ne pas savoir très-bien que Geneviève lui avait sauvé la vie, que le sang dont il était couvert était sorti des veines de la pauvre innocente. Il se calma aussitôt et l’aida à secourir André, qui était dans un état effrayant. Quand il revint à lui, il regarda son père et sa femme d’un air effaré, et leur demanda ce qui s’était passé.

— Rien ! dit le marquis dont le cœur n’était pas toujours fermé à la miséricorde, à la vue d’un repentir sincère, et qui d’ailleurs se sentait aussi coupable qu’André. — À genoux ! André, dit Geneviève à son mari, à genoux devant ton père ! et ne te relève pas qu’il ne t’ait pardonné. Je vais te donner l’exemple.

Cette soumission acheva de désarmer le marquis ; il embrassa son fils et Geneviève, et déclara qu’il accordait la pension de douze cents francs. Les malheureux jeunes gens n’étaient guère en état de songer au sujet de la querelle. André eut, pendant trois jours, un tremblement nerveux de la tête aux pieds. Son père radoucit sensiblement ses manières accoutumées, mit sa servante à la porte et témoigna presque de la tendresse à Geneviève ; mais il n’était plus temps : son enfant était mort ce jour-là dans son sein ; elle ne le sentait plus remuer, et elle attendait tous les jours avec un courage stoïque les atroces douleurs qui devaient la délivrer de la vie.

Le brave médecin qui avait soigné André vint la voir, et lui demanda comment elle se trouvait. Geneviève l’emmena dans le verger, et quand ils furent seuls : — Mon enfant est mort, lui dit-elle d’un air triste et calme, et moi je mourrai aussi ; dites-moi si vous croyez que ce sera bientôt ? — Le médecin n’eut pas de peine à la croire, et vit qu’elle était perdue, mais qu’elle avait du courage.

— Au moins, lui dit-il, vous mourrez sans trop souffrir ; vous