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auditeurs des basses classes, ils ne comprenaient absolument rien à son éloquence, mais ils admiraient sur la foi d’autrui.

Ce jour-là, le prédicateur, faute de sujet, prêcha sur la charité. Ce n’était pas un bon jour ; il y avait peu de beau monde. Il y eut peu de métaphores, et l’amplification fut négligée ; le sermon fut donc un peu plus intelligible que de coutume, et Henriette saisit quelques lieux communs qui furent débités d’ailleurs avec aplomb, d’une voix sonore et sans le moindre lapsus linguæ. On sait qu’en province le lapsus linguæ est l’écueil des orateurs, et qu’il leur importe peu de manquer absolument d’idées, pourvu que les mots abondent toujours et se succèdent sans hésitation.

Henriette fut donc émue et entraînée, d’autant plus que le sujet du sermon s’appliquait précisément à la situation de son cœur. Ce cœur n’avait rien de méchant, et donnait de continuels démentis à un caractère arrogant et jaloux. La pensée de Geneviève malheureuse et méconnue le remplit de regrets et de remords. Le sermon terminé, Henriette résolut d’aller trouver son amie, et de réparer, autant qu’il serait en elle, le chagrin que ses consolations, moitié affectueuses, moitié amères, avaient dû lui causer.

Elle prit à peine le temps de souper, et courut chez la jeune fleuriste. Elle frappa, on ne lui répondit pas. La clef avait été retirée ; elle crut que Geneviève était sortie ; mais au moment de s’en aller, une autre idée lui vint : elle pensa que Geneviève était enfermée avec son amant, et elle regarda à travers la serrure.

Mais elle ne vit qu’une chandelle qui achevait de se consumer dans l’âtre de la cheminée, et le profond silence qui régnait dans l’appartement lui fit pressentir la réalité. Elle poussa donc la porte avec une force un peu mâle, et la serrure, faible et usée, céda bientôt. Elle trouva Geneviève assez malade pour avoir à peine la force de lui répondre ; et tandis qu’elle se rendormait avec l’apathie que donne la fièvre, la bonne couturière se hâta d’aller chercher les couvertures de son propre lit pour l’envelopper. Ensuite elle alluma du feu, fit bouillir des herbes, acheta du sucre avec l’argent gagné dans sa journée, et s’installant auprès de son amie, lui prépara des tisanes de sa composition, auxquelles elle attribuait un pouvoir infaillible.

La nuit était tout-à-fait venue, et le coucou de la maison sonnait