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DE L’ÉCOLE FRANÇAISE.

net, l’auteur de l’Exorcisme de Charles ii, d’improviser en peu de jours une toile de vingt pieds, et d’ajourner ainsi de gaieté de cœur des espérances bien légitimement conçues. Ils s’apercevront au contraire qu’on gagne à ne pas solliciter chaque jour la renommée ; qu’il vaut mieux faire regretter son absence, que d’importuner les gens par de trop fréquentes visites. Enfin, les meilleures innovations ont leur expérience à faire : le système des salons annuels, pour en être à son début, ne me semble pas produire de si mauvais résultats.

Un autre avantage qu’on ne peut contester au salon annuel, c’est de varier la physionomie des expositions. On ne verra, par exemple, reparaître ici presque aucun des noms qui l’an dernier excitaient de si vives querelles. Alors MM. Ingres et Delaroche avaient divisé les arts en deux camps ; et l’opinion profitait, ce me semble, de l’exagération mutuelle des partis. Cette fois, le nom de M. Ingres, ne figure pas au livret, et l’on nous fait craindre que ce silence ne soit désormais obstiné. On prête à l’Achille moderne des projets, non de repos, mais d’éternelle colère. On sait que, dans l’intervalle du salon dernier à son départ pour Rome, M. Ingres a exécuté une tête de Christ et un portrait de M. le comte Molé : le portrait de M. Molé, que beaucoup de personnes ont été admises à voir, a fait grande sensation dans le monde des arts. On s’attendait au renouvellement du succès qui accueillit le portrait de M. Bertin l’aîné ; mais l’artiste s’est refusé à ce que son œuvre franchît le seuil du Louvre, et le public en est réduit à croire sur parole une renommée trop unanime pour qu’on la craigne partiale. Il est possible que le succès du saint Symphorien n’ait pas répondu à toutes les espérances de M. Ingres : on pourrait croire que la franchise de certaines critiques, franchise d’autant plus confiante qu’elle s’alliait à un sentiment plus vif d’admiration, ait ouvert une blessure momentanée dans une ame démesurément impressionnable ; mais la mauvaise humeur, si justifiée qu’on la suppose, devait s’en tenir à ses premiers effets. M. Ingres n’a pas le droit de bouder un public qui l’admire, ni de dénier une opinion qui le comprend. La retraite est salutaire à qui sent sa main trembler, sa vue s’affaiblir ; mais dans l’âge de la production et des succès, quand on est un des premiers artistes de son temps et de son pays, on ne fait pas de