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DE L’ÉCOLE FRANÇAISE.

quelques rapports, ne parle la langue du paysage qu’en bégayant : sa touche est toujours lourde et matte ; la souplesse, l’humidité, le charme de la nature, lui sont comme étrangers. Pour que son talent se manifeste avec éclat, il lui faut un sujet comme celui qu’il a choisi cette année, une Agar abandonnée dans le désert. Ici l’aspect général ne saurait être ni trop uniforme ni trop désolé : le paysage de M. Corot a quelque chose qui serre le cœur avant même qu’on se soit rendu compte du sujet. C’est là le mérite propre au paysage historique, c’est-à-dire l’harmonie du site avec la passion ou la souffrance que le peintre y veut placer. C’est comme un orchestre dramatiquement instrumenté sous des chants expressifs. Si, comme il arrive souvent dans l’école allemande, l’orchestre a plus d’importance que le chant, un opéra ainsi conçu est la contre-partie exacte du paysage historique. On passe à un homme tel que M. Corot la faiblesse de ses figures, comme on excuse dans le Fidelio de Beethoven la brièveté des mélodies : seulement il faut que les figures du paysagiste soient à leur place, et qu’elles disent bien ce que le peintre a voulu leur faire dire. Sous ce rapport, M. Corot est irréprochable : je trouve une simplicité non cherchée, une naïveté véritable, dans la manière dont il a fait planer en l’air, comme un oiseau, l’ange que Dieu envoie au secours d’Agar. La scène, belle de caractère, bien entendue de perspective et de dégradation, se termine par d’admirables plans de montagnes que surmonte un ciel lumineux. M. Corot a deviné l’analogie de certaines parties de la Maremme de Toscane avec les paysages orientaux : il a suivi l’exemple du Poussin, qui savait fondre les détails de la campagne de Rome dans les lignes des croquis qu’on lui apportait de l’Asie. Mais tout ce mérite, je dois en convenir, M. Corot l’eût démontré bien plus clairement au public, s’il ne s’était pas obstiné à faire les terrains du même ton que les rochers, à épaissir outre mesure les ombres portées, à donner à tous ses arbres un feuillage de cochlearia.

Sous ces rapports essentiels d’imitation, M. Aligny se montre cette année bien en avant de M. Corot ; la jolie Vue de Civitella, qu’on voit à l’entrée de la grande galerie, participe encore de la manière vague que jusqu’à ce jour M. Aligny avait conservée dans ses premiers plans. La Vue d’Amalfi, à laquelle on peut reprocher