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DE L’ÉCOLE FRANÇAISE.

loin des palais de Venise et de ses places de marbre, si magnifiques encore dans leur désolation ; le peuple que Robert représente est le peuple vif, simple et gracieux dont Goldoni a reproduit les mœurs et le langage dans sa comédie vénitienne des Baruffe Chiozzotte, idylle digne de Théocrite, noyée au milieu de deux cents pièces toutes farcies de poudre, de perruques et de paniers. Chiozza est encore une trop grande ville pour la muse de Robert ; elle s’est réfugiée dans le pauvre village de Palestrina, entièrement habité par des pêcheurs.

Le moment choisi par le peintre est celui qui précède immédiatement le départ pour la pêche de long cours. Le ciel est gris et sans présages ; un regard exercé pourrait peut-être y lire le vague pronostic d’un gros temps. C’est pour cela, ou peut-être seulement à cause des périls de cette mer pendant la mauvaise saison, que tant de tristesse est répandue sur la scène, et surtout sur les groupes des femmes à la gauche du spectateur ; une vieille assise semble craindre de ne plus vivre quand les pêcheurs reviendront ; une jeune femme qui porte un enfant dans ses bras, pleure en dedans ; une toute jeune fille, auprès d’elle, exprime seule, par sa physionomie ouverte et curieuse, l’insouciance naturelle à son âge. Ces trois personnages sont abrités par une muraille, tapissée d’une vigne jaunie, et sur laquelle un rayon du soleil vient mourir ; de l’autre côté, c’est la barque dont une partie de l’équipage hisse la vergue et prépare les agrès. Au milieu du tableau, le patron distribue des ordres ; deux jeunes garçons l’accompagnent ; l’un d’eux, à qui l’on a confié la madone de la poupe, et la lanterne qui doit brûler aux pieds de cette madone, part évidemment pour son premier voyage ; son visage, rayonnant de fierté et de joie, offre un contraste heureux avec l’expression triste ou indifférente du reste des assistans. Au-delà est un vieillard qui porte des courges pour la provision de la barque ; son âge l’exclut d’une vie de fatigues et de dangers. Dans cette suite de travaux, que les générations se lèguent l’une à l’autre, il représente l’anneau qui va se briser au bout de la chaîne ; l’enfant qui porte la madone renoue cette chaîne à l’extrémité opposée. Plus près du spectateur et à sa droite sont deux matelots, l’un debout, l’autre assis ; leurs traits sont sérieux sans se crisper jusqu’à la tristesse ; leur