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moitié de l’univers a voué un culte désormais impérissable, que de jouissances, que de tranquilles plaisirs les Ansariens préparent ! Pour un véritable Oriental, le bonheur est une plante qui fleurit dans les montagnes de Lattaquié, et c’est la peuplade ansarienne, peuplade sauvage et sombre, haïe et méprisée des musulmans, qui envoie chaque année aux bords du Bosphore et aux rivages du Nil les plus aimées des feuilles de toutoun, source de consolation et de volupté.

Les autres productions de Lattaquié, telles que la soie, les galles, la laine et la cire, sont trop peu abondantes pour qu’on s’y arrête ; citons seulement le coton de ce pays que les commerçans estiment beaucoup, et qui forme, après le tabac, la ressource la plus importante des Lattaquiotes. L’huile d’olive est détestable ; l’huile de noix vaut mieux, quelqu’insipide qu’elle paraisse. Jadis les vins de Laodicée coulaient dans les banquets d’Alexandrie ; la cité égyptienne n’en connaissait pas de meilleurs ; les mêmes vignobles sont toujours là, mais la liqueur autrefois tant vantée aurait en France tout au plus la renommée des vins de Surêne. On s’explique difficilement une semblable décadence, surtout quand on a mangé des raisins de Lattaquié qui sont délicieux, et que les habitans font sécher au soleil. Les plus beaux raisins, ceux dont les grains sont énormes, proviennent des montagnes de Sahioum, à l’est de Lattaquié. Cette ville reçoit tous les ans des bords du Nil une grande quantité de la poudre appelée henné, qui occupe tant de place dans la toilette des femmes d’Orient ; Lattaquié se charge d’expédier de cette poudre égyptienne à Antioche, à Alep, aux principales cités de la Perse. La poudre de henné est de couleur verte ; elle devient rouge aussitôt qu’on l’applique mouillée sur la peau.

L’ancien port de Laodicée, qui pouvait contenir, si l’on en croit l’histoire, plus de mille galères, est aujourd’hui en partie comblé, en partie couvert d’orangers, de citroniers, de mûriers et de jujubiers, formant un vaste jardin. Le port où mouillent maintenant les navires, n’est autre chose qu’un bassin suffisant à peine à dix ou douze bâtimens marchands. Si Dolabella revenait aujourd’hui à Laodicée avec sa flotte, il serait très embarrassé de trouver un mouillage, et les Romains seraient peut-être assez surpris de