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qui doit à M. Thiers sa position actuelle, qui le sait, et qui ne lui pardonnera jamais le rôle nul et grotesque auquel il est condamné, M. de Rigny s’est empressé de saisir cette occasion pour se plaindre des mauvais procédés de M. Thiers. Il a démontré, par vingt exemples anciens et récens, que M. Thiers sacrifie, en toute occasion, ses collègues, qu’il parle toujours pour lui seul, et qu’il sera toujours un ferment de dissolution. M. Guizot se serait montré plus que généreux en cette circonstance, dit-on ; il aurait parlé, sans rire, de la fidélité que garde M. Thiers à ses amis politiques, et il l’aurait protégé d’éloges si outrés, qu’on ne sait si le duel qui a failli avoir lieu entre M. de Rigny et M. Thiers n’eût pas été plus motivé entre ce dernier et M. Guizot. Aujourd’hui, grace à une haute intervention, la paix règne de nouveau dans le ministère, c’est-à-dire que les vaillantes épées qui brillaient déjà au soleil, ont été remises dans les fourreaux, et que tous ces bons amis réconciliés se contenteront de se poignarder et de se tendre des guet-à-pens.

La discussion du traité américain avance sans faire un pas, et devient, en quelque sorte, une suite d’affaires personnelles. Heureusement les guerres d’hommes à hommes se passent ici comme les querelles de nation à nation. Celle qui menaçait de s’élever entre M. de Fitz-James et M. Vigier s’est terminée, grace à Dieu, le plus heureusement du monde. On sait avec quelle plaisante vivacité M. de Fitz-James proposa à M. Vigier, qui l’interrompait, de lui céder la parole. Jugez de l’embarras et de la colère de M. Vigier. Aussi vint-il trouver dans le salon des conférences M. de Fitz-James, qui était baigné d’une noble sueur parlementaire, et se hâtait de se couvrir pour échapper à l’influence du froid de cette vaste salle. M. Vigier perça à grand’peine le groupe qui félicitait M. de Fitz-James, et voulut parler ; mais sa langue fut tellement rebelle que le duc eut pitié de son embarras, et lui dit amicalement : Voulez-vous bien m’aider à passer ma redingote ? — M. Vigier, tout étonné, se prêta complaisamment à cet office, et l’affaire en resta là ; entre gens de cour et gens d’esprit, il y a toujours moyen de s’arranger.

La seconde affaire personnelle, causée par le traité américain, est celle de M. de Fitz-James et de M. Thiers, du drapeau tricolore et du drapeau blanc. Elle s’est également passée sans suites fâcheuses.

Le troisième de ces duels pacifiques a eu lieu hier, grace à l’extrême susceptibilité de M. le général Tiburce Sébastiani, qui s’est cru blessé dans l’honneur de son frère, par quelques paroles de M. Ducos contre les signataires du traité du 4 juillet 1831. Les paroles de M. Ducos avaient été fort obscures ; mais s’il a voulu dire que M. Horace Sébastiani a porté de son chef à 25,000,000 une indemnité fixée à 46,000,000 par trois com-