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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/273

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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

illustres de l’ancienne société française. Mme de Staël reproduit donc suffisamment en elle cette manière et ce charme d’autrefois. Mais elle ne s’en tient pas à cet héritage, car ce qui la distingue comme la plupart des génies, et plus éminemment qu’aucun autre, c’est l’universalité d’intelligence, le besoin de renouvellement, la capacité des affections. À côté des succès traditionnels et déjà classiques de Mme du Deffant, de Mme de Beauveau, qu’elle eut continués à sa manière en les rompant avec originalité, elle ne sent pas moins l’énergie récente, le génie plébéien et la virilité des ames républicaines. Les héroïsmes de Mme Roland et de Charlotte Corday la trouvent prête et sont à l’aise dans son cœur ; ses délicatesses pour les autres nobles amitiés n’y perdent rien. Véritable sœur d’André Chénier en instinct de dévouement, elle a un cri d’éloquence pour la reine, comme lui pour Louis xvi ; elle viendrait la défendre à la barre s’il y avait chance de la sauver. Elle subit bientôt, et dans son livre De l’Influence des Passions, elle exprime toute la tristesse du stoïcisme vertueux en ces temps d’oppression où l’on ne peut que mourir. Sous la période directoriale, ses écrits, sa conversation, sans exclure les qualités précédentes, admettent un ton plus sévère : elle soutient la cause de la philosophie, de la perfectibilité, de la république modérée et libre, tout comme l’aurait pu faire la veuve de Condorcet. C’est alors ou peu après dans la préface de la Littérature considérée dans ses Rapports avec les Institutions sociales, qu’elle exprimait cette mâle pensée : « Quelques vies de Plutarque, une lettre de Brutus à Cicéron, des paroles de Caton d’Utique dans la langue d’Addison, des réflexions que la haine de la tyrannie inspirait à Tacite,… relèvent l’ame que flétrissaient les évènemens contemporains. » Et cela ne l’empêche pas au même moment de se rouvrir et de se complaire à toutes les amitiés de l’ancien monde, à mesure qu’elles reparaissent de l’exil. Et, tout à côté, elle apprécie, elle accueille en son cœur la renommée de femme de ce temps la plus en vogue, la plus ornée et la plus pure ; elle s’en entoure comme d’une guirlande, tandis que les Lettres de Brutus restent entr’ouvertes encore, et que M. de Montmorency lui sourit avec piété. Ainsi, tour à tour ou à la fois, le mouvement d’esprit des salons du xviiie siècle, la vigueur des espérances nouvelles et des fortes entreprises, la tristesse du patriotisme stoïque, comme le