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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

les contemporains se montrent unanimes là-dessus. Il en est d’elle comme du grand orateur athénien ; quand vous admirez, et que vous vous émouvez aux pages spirituelles ou brûlantes, quelqu’un toujours peut dire : Que serait-ce donc si vous l’aviez entendue elle-même ! Les adversaires et les critiques qui se servent volontiers d’une supériorité pour en combattre une autre dans tout grand individu trop complet à leurs yeux, qui prennent acte du talent déjà prouvé contre le talent nouveau auquel il prétend, rendent sur ce point à Mme de Staël un hommage intéressé et quelque peu perfide, égal, quoiqu’il en soit, à celui de ses admirateurs. Fontanes, en 1800, terminait les fameux articles du Mercure par ces mots : « En écrivant, elle croyait converser encore. Ceux qui l’écoutent ne cessent de l’applaudir : je ne l’entendais point quand je l’ai critiquée… » Long-temps, en effet, les écrits de Mme de Staël, se ressentirent des habitudes de sa conversation. En les lisant, si courans et si vifs, on croirait souvent l’entendre. Des négligences seulement, des façons de dire ébauchées, des rapidités permises à la conversation et aperçues à la lecture, avertissent que le mode d’expression a changé et eût demandé plus de recueillement. Mais, quelles qu’aient été chez Mme de Staël la supériorité et la prédominance de sa conversation sur son style écrit, du moins par rapport à ses premiers ouvrages, il n’en est pas d’elle comme des grands hommes orateurs, improvisateurs, les Mirabeau, les Diderot, un peu pareils aux Talma, puissantes renommées qui eurent le sceptre et dont il reste des témoignages écrits bien inférieurs à leur action et à leur gloire. Elle a laissé assez d’œuvres durables pour témoigner dignement d’elle-même, et n’avoir pas besoin devant la postérité d’explications étrangères, ni du cortége des souvenirs contemporains. Peut-être, et M. de Châteaubriand l’a remarqué dans un jugement porté sur elle vers l’époque de sa mort, pour rendre ses ouvrages plus parfaits, il eût suffi de lui ôter un talent, celui de la conversation. Telle que nous la voyons réalisée pourtant, sa part d’écrivain est assez belle. Malgré les défauts de sa manière, a dit M. de Châteaubriand au même endroit, elle ajoutera un nom de plus à la liste des noms qui ne doivent point mourir. Ses écrits, en effet, dans l’imperfection même de beaucoup de détails, dans la succession précipitée des aperçus et le délié des mouvemens, ne