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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

Malgré sa croyance absolue en M. Necker, malgré l’adoption complète et la revendication définitive qu’elle fit des idées politiques de son père dans le livre des Considérations sur la Révolution française, il faut noter que Mme de Staël, jeune, enthousiaste, se hasardait alors plus loin que lui dans la même route. Elle ne se tenait pas aux combinaisons de la constitution anglaise ; elle allait aussi avant sur bien des points que les royalistes constitutionnels de la plus vive génération, tels que MM. de Narbonne, de Montmorency, et M. de Lafayette lui-même. En un mot, s’il fallait dès-lors assigner une ligne politique à une pensée si traversée et si balancée par les affections, ce serait moins encore dans le groupe de MM. Malouet, Mounier et Necker, qu’on devrait, pour être exact, se représenter Mme de Staël, que dans celui des royalistes constitutionnels de 91, avec lesquels seulement elle s’arrêta. On peut voir d’elle au reste, un article de journal conservé dans ses œuvres, seule expression écrite de son opinion à cette époque : elle y juge Mirabeau mort, d’un ton de faveur qu’elle a depuis rétracté.

Mme de Staël quitta Paris, non sans danger, après le 2 septembre. Elle passa l’année de la Terreur au pays de Vaud, avec son père et quelques amis réfugiés, M. de Montmorency, M. de Jaucourt. De ces terrasses de Coppet, au bord du lac de Genève, sa plus fixe méditation était de comparer l’éclatant soleil et la paix de la nature avec les horreurs partout déchaînées de la main des hommes. À part ce cri éloquent de pitié qu’elle fit entendre pour la reine, à part une épître en vers au Malheur, son talent observa un religieux silence : on entendait de loin, aussi sourds et pressés qu’un bruit de rames sur le lac, les coups réguliers de la machine sur l’échafaud. L’état d’oppression et d’angoisse où Mme de Staël resta durant ces mois funestes ne lui permettait, dans les intervalles de son actif dévouement pour les autres, que de désirer la mort pour elle, d’aspirer à la fin du monde et de cette race humaine si perdue : « Je me serais reproché, dit-elle, jusques à la pensée, comme trop indépendante de la douleur. » Le 9 thermidor lui rendit cette faculté de pensée, plus énergique après l’accablement ; et le prompt usage qu’elle en fit fut d’écrire ses Réflexions sur la Paix extérieure et intérieure, dont la première partie s’adresse à M. Pitt, et la seconde aux Français. Dans celle-ci principalement, un mélange de