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VOYAGE EN ORIENT.

1o . L’Asie est déserte, et l’Europe regorge d’habitans. Ne serait-il pas sage de verser en Asie le trop plein de l’Europe ? Oui, répond M. de Lamartine.

2o . Comment réaliser ce projet ? En assemblant un congrès européen.

3o . Que devra décider le congrès ? La fondation en Asie de villes modèles tellement gouvernées, tellement heureuses, qu’elles entraîneraient, par leur exemple, la conversion de l’Asie entière.

En réduisant à ces trois paragraphes la théorie politique de M. de Lamartine, je suis sûr de ne pas altérer sa pensée. En la dégageant des ambages oratoires, je la présente sous une forme presque scientifique. Je la dépouille, il est vrai, du charme de la diction ; mais, dans de pareilles matières, ce n’est pas l’élégance d’Isocrate qu’il faut chercher, c’est la sagacité de Montesquieu.

Cette doctrine, on le voit, systématise avec une naïveté enfantine la plupart des plaintes et des vœux de Saint-Simon et de Fourier. Elle découpe en projet de loi ce que ces deux philosophes ont demandé à plusieurs reprises ; elle prend par la main le type idéal de la réforme sociale, et lui livre du même coup la royauté diplomatique et administrative du globe. Elle veut relier le genre humain tout entier en une seule famille. C’est un dessein très louable à coup sûr, mais qui prendra sa place à côté de la langue universelle de Leibnitz et de la paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre.

Cette politique est aujourd’hui représentée par MM. Janvier, Sauzet et de Lamartine. Elle procède par la prédication, et veut inscrire dans la loi toutes les vérités religieuses et philosophiques. Il n’y a là rien que la philantropie puisse réprouver. Mais je crains fort que les discussions législatives ne rencontrent dans la politique sociale un embarras plutôt qu’un auxiliaire. Je crains fort que M. de Lamartine, en particulier, ne discrédite et ne démonétise la plupart des vérités qu’il professe et qu’il prêche. En généralisant sur une échelle indéfinie tous les conseils de l’Évangile et de la raison, il arrive, il faut bien le dire, à ce que les Anglais appellent ingénieusement des truisms, à des vérités trop vraies, à des préceptes excellens sans doute, mais applicables seulement en dehors de l’espace et du temps.

Que les ambassadeurs et les ministres sourient dédaigneusement à