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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

son âpre et sec caractère se dessine ; la voilà toute raide de dévotion. De peur qu’on ne s’y méprenne, Delphine, en lui répondant, lui parle de cette règle rigoureuse, nécessaire peut-être à un caractère moins doux ; choses qui ne se disent ni ne s’écrivent tout d’abord entre personnes façonnées au monde comme Delphine et Mathilde. Léonce, dès sa première lettre à M. Barton, disserte en plein sur le préjugé de l’honneur, qui est son trait distinctif. Ces traits-là, dans la vie, ne se dessinent qu’au fur et à mesure, et successivement par des faits. Le contraire établit, au sein du roman le plus transportant, un ton de convention, de genre ; ainsi, dans la Nouvelle Héloïse, toutes les lettres de Claire d’Albe sont forcément rieuses et folâtres ; l’enjouement, dès la première ligne, y est de rigueur. En un mot, les personnages des romans par lettres, au moment où ils prennent la plume, se regardent toujours eux-mêmes, de manière à se présenter au lecteur dans des attitudes expressives et selon les profils les plus significatifs : cela fait des groupes un peu guindés, classiques, à moins qu’on ne se donne carrière en toute lenteur et profusion, comme dans Clarisse. Ajoutez la nécessité si invraisemblable, et très fâcheuse pour l’émotion, que ces personnages s’enferment pour écrire lors même qu’ils n’en ont ni le temps ni la force, lorsqu’ils sont au lit, au sortir d’un évanouissement, etc., etc. Mais ce défaut de forme une fois admis pour Delphine, que de finesse et de passion tout ensemble ! que de sensibilité épanchée, et quelle pénétration subtile des caractères ! À propos de ces caractères, il était difficile dans le monde d’alors qu’on n’y cherchât pas des portraits. Je ne crois guère aux portraits complets chez les romanciers d’imagination féconde ; il n’y a de copié que des traits premiers plus ou moins nombreux, lesquels s’achèvent bientôt différemment et se transforment ; l’auteur seul, le créateur des personnages, pourrait indiquer la ligne sinueuse et cachée où l’invention se rejoint au souvenir. Mais alors on dut chercher et nommer pour chaque figure quelque modèle existant. Si Delphine ressemblait évidemment à Mme de Staël, à qui donc ressemblait, sinon l’imaginaire Léonce, du moins M. de Lebensei, Mme de Cerlèbe, Mathilde, Mme de Vernon ? On a trouvé que Mme de Cerlèbe, adonnée à la vie domestique, à la douce uniformité des devoirs, et puisant d’infinies jouissances dans l’éducation