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Constant, etc. » Il n’est pas inutile de se figurer l’auteur galant de cette peinture, Werner, bizarre de mise et volontiers barbouillé de tabac, muni qu’il était d’une tabatière énorme où il puisait à foison durant ses longues digressions érotiques et platoniques sur l’androgyne ; sa destinée était de courir sans cesse, disait-il, après cette autre moitié de lui-même, et, d’essai en essai, de divorce en divorce, il ne désespérait pas d’arriver enfin à reconstituer son tout primitif. Le poète danois Œlenschlæger a raconté en détail une visite qu’il fit à Coppet, et il y parle du bon Werner en ce sens ; nous emprunterons au récit d’Œlenschlæger quelques autres traits :

« Mme de Staël vint avec bonté au-devant de moi, et me pria de passer quelques semaines à Coppet, tout en me plaisantant avec grace sur mes fautes de français. Je me mis à lui parler allemand ; elle comprenait très bien cette langue, et ses deux enfans la comprenaient et la parlaient très bien aussi. Je trouvai chez Mme de Staël, Benjamin Constant, Auguste Schlegel, le vieux baron Voght d’Altona, Bonstetten de Genève, le célèbre Sismonde de Sismondi, et le comte de Sabran, le seul de toute cette société qui ne sût pas l’allemand… Schlegel était poli à mon égard, mais froid… Mme de Staël n’était pas jolie, mais il y avait dans l’éclair de ses yeux noirs un charme irrésistible ; et elle possédait au plus haut degré le don de subjuguer les caractères opiniâtres, et de rapprocher par son amabilité des hommes tout-à-fait antipathiques. Elle avait la voix forte, le visage un peu mâle, mais l’ame tendre et délicate… Elle écrivait alors son livre sur l’Allemagne et nous en lisait chaque jour une partie. On l’a accusée de n’avoir pas étudié elle-même les livres dont elle parle dans cet ouvrage, et de s’être complètement soumise au jugement de Schlegel. C’est faux. Elle lisait l’allemand avec la plus grande facilité. Schlegel avait bien quelque influence sur elle, mais très souvent elle différait d’opinion avec lui, et elle lui reprochait sa partialité… Schlegel, pour l’érudition et pour l’esprit duquel j’ai un grand respect, était, en effet, imbu de partialité. Il plaçait Calderon au-dessus de Shakspeare ; il blâmait sévèrement Luther et Herder. Il était, comme son frère, infatué d’aristocratie… Si l’on ajoute à toutes les qualités de Mme de Staël, qu’elle était riche, généreuse, on ne s’étonnera